Le passage du Niémen
Aujourd'hui, 24 juin 1812, la Grande Armée a commencé de franchir le Niémen. C'est la guerre !
Ainsi aura commencé la grande entreprise qui est appelée à éclipser les plus extraordinaires faits d'armes de l'histoire humaine. Ainsi s'ouvre la campagne au cours de laquelle Napoléon, en écrasant l'Alexandre russe, va surpasser l'Alexandre macédonien.
Hier matin avant le jour, après que la colonne à la tête de laquelle elle marchait a atteint ce fleuve, Sa Majesté Impériale et Royale en personne en a reconnu les rives et a donné l'ordre d'y jeter trois ponts près du village de Poniémen.
Quelques sapeurs furent les premiers à traverser, sans rencontrer aucune opposition, ni même le moindre ennemi. Seul un officier cosaque semblant se croire en pleine paix se présenta devant eux pour leur demander qui ils étaient et ce qu'ils venaient faire en Russie. Leur belliqueuse réponse, accompagnée de coups de fusil, le fit disparaître aussitôt dans les bois. L'Empereur se montra violemment irrité de cet incident. Trois cents voltigeurs passèrent ensuite pour protéger la construction des ponts.
A la nuit, le reste de l'armée s'avança silencieusement jusqu'au fleuve et y bivouaqua, les armes à la main. L'obscurité était profonde, les feux étant interdits, et l'attente parut longue jusqu'au matin. Chacun méditait les dangers du lendemain tout en se répétant les morceaux les plus éloquents de la proclamation de l'Empereur, qui venait d'être lue.
Le jour, en se levant, révéla à tous la masse innombrable de l'armée qui couvrait les collines et les vallées alentours. L'orgueil et l'espoir s'en trouvèrent renforcés. De la tente de Napoléon, qui se dressait sur la hauteur la plus éminente, le signal fut bientôt donné. Aussitôt, trois colonnes s'écoulèrent vers les trois ponts qui ouvraient la Russie à nos armes. L'ardeur était grande. Deux divisions d'avant-garde faillirent se battre pour l'honneur de poser la première le pied sur le sol russe sous le regard de Sa Majesté. Celle-ci se tenait en effet d'abord près d'un pont, galvanisant comme à l'accoutumée les soldats par sa présence.
L'Empereur reconnut ensuite le pays qui bordait la rive russe du fleuve, sur plus d'une lieue de profondeur. Nul ennemi ne se montra. Il revint alors vers les ponts et redescendit le fleuve avec sa garde vers la ville de Kowno. Le reste des troupes commença de marcher vers l'Est.
Quelques âmes superstitieuses ont voulu voir dans la chute de cheval qu'a faite l'Empereur sur les rives du Niémen un présage défavorable. Nul doute que la suite des événements aura tôt fait de les tranquilliser.
J. Richard pour La Gazette de France