Toujours Wilna
Voici huit jours que l'Empereur est à Wilna. Les affaires de Pologne et de Lithuanie l'y occupent considérablement. Elles ont en effet été quelque peu gâtées par les maladresses de certains serviteurs de l'Empire et c'est encore une fois à l'Empereur de réparer les erreurs de ses subalternes.
Ainsi notre ambassadeur à Varsovie s'est-il comporté de telle sorte que tous les actes de la Diète polonaise semblent avoir été dictés par la France. Certains soutiennent même que la séparation de cette assemblée, trois jours à peine après sa réunion, serait de son fait. Cette décision et les causes qu'on lui prête ont eu le plus mauvais effet sur le moral de la population lithuanienne. Son enthousiasme à notre égard s'est beaucoup refroidi ces derniers jours. On craint maintenant qu'on ne puisse y lever tous les volontaires sur lesquels on comptait pour augmenter nos forces. Sa Majesté a fait écrire à l'ambassadeur par le duc de Bassano mais le mal était déjà fait. L'arrivée imminente d'une délégation de la Diète, qui s'est mise en route avant la séparation, donnera à l'Empereur l'occasion de réparer les fautes de son malhabile représentant.
Il a d'ores et déjà commencé d'organiser la Lithuanie. Le pays a été découpé en quatre provinces, un gouvernement composé de sept personnalités éminentes prises dans la noblesse locale a été formé, dirigé par un commissaire impérial. Le général comte Hogendorp, ancien ministre de la guerre du roi Louis Bonaparte, a été choisi pour occuper ce poste.
J'ai appris ce matin-même que le Tsar Alexandre aurait fait parvenir, ou serait sur le point de faire parvenir, une lettre à l'Empereur Napoléon, par l'intermédiaire du comte Balachof. Mes informations sont pour le moment fragmentaires et contradictoires. J'aurai certainement bien plus à dire sur cet important sujet, cher lecteur, dans mon prochain article.
Du point de vue militaire, le corps du général Bagration a réussi contre toute attente à faire sa jonction avec le reste de l'armée russe. L'attitude du roi de Westphalie, qui a préféré rentrer dans son royaume plutôt que de servir sous les ordres du prince d'Eckmühl, l'a puissamment aidé à nous infliger cet échec. Sa Majesté n'a pas souhaité traiter cette défection avec rigueur.
Pour les unités dont la marche a été interrompue par le séjour prolongé de l'Empereur à Wilna, cette pause est une aubaine. Elle permet aux trainards de rejoindre. Les pluies et les orages ont en effet provoqué la mort de nombreux chevaux et désorganisé les approvisionnements. On signale des cas de disette dans l'armée. La population locale en tire parfois profit mais elle en est plus souvent la victime quand les soldats en sont réduits à se nourrir sur le pays. Parfois, les maraudeurs se portent à de plus violentes extrémités. On cite le cas du préfet désigné de Newtroki qui s'est fait détrousser sur la route par nos soldats et s'est présenté à peu près nu dans la ville qu'il venait diriger. L'Empereur, qui n'en ignore rien, cite en exemple les corps de Davout et du vice-roi, où règne toujours la discipline la plus rigoureuse. Mais les autres chefs de corps ne semblent pas pouvoir obtenir les mêmes résultats. Napoléon gronde mais ne peut que laisser faire.
J. Richard, ce 8 juillet 1812, de Wilna pour La Gazette de France.