Quel roman que ma vie !
C'est ainsi que Napoléon lui-même, au soir de son existence, aurait évoqué son extraordinaire destin. Et certes, le destin hors du commun de l'obscur sous-lieutenant Corse devenu empereur a suscité une littérature prodigieusement abondante. Aucune autre figure historique n'a connu un tel succès éditorial. Depuis deux siècles, historiens, essayistes, romanciers, ont décrit, analysé, exalté ou au contraire vilipendé le personnage comme son action. Les pacifiques l'ont traité d'ogre mais les ambitieux ont trouvé dans son existence un modèle insurpassable. Léon Tolstoï n'a vu en lui qu'un pantin et Hippolyte Taine l'a décrit comme un condottiere italien de la Renaissance égaré dans le monde moderne. Mais Stendhal en a fait le grand homme de Julien Sorel ; Honoré de Balzac, tout royaliste qu'il fût, n'a pu cacher son admiration ; Léon Bloy l'a proclamé prophète. De nos jours encore, sa vie et son oeuvre suscitent des controverses d'une surprenante vivacité, témoignage éloquent de l'intensité que conserve son souvenir, y compris, à leur corps défendant, chez ses plus farouches détracteurs.
Et ce débat sur le passé s'est d'ores et déjà assuré d'un brillant avenir en investissant Internet. On s'émerveille parfois qu'il se soit écrit plus de livres sur Napoléon Bonaparte qu'il ne s'est écoulé de jours depuis sa mort : que dire alors des millions de résultats que ramène GoogleTM lors d'une recherche sur son nom, ou des milliers d'articles qu'une encyclopédie comme Wikipedia lui consacre ? Tout simplement ceci : l'homme qui a conquis l'Europe de son vivant a conquis le monde après sa mort. En 2008, Pékin lui a consacré une exposition dans la résidence même des empereurs de Chine : la Cité interdite. La même année, le musée des Beaux-Arts de Montréal a ouvert de nouvelles salles pour exposer les objets napoléoniens dont M. Ben Weider l'a enrichi. En 2010, Berlin a organisé l'exposition Napoléon et l'Europe. Rêve et traumatisme. En mars 2013, c'est le Musée de l'Armée de Paris, qui accueille près d'un million et demi de visiteurs par an, qui a organisé une grande exposition Napoléon et l'Empire. En mars 2014, un ancien premier ministre français, Monsieur Lionel Jospin, a restauré sa visibilité médiatique en disant tout le mal qu'il en pensait, deux-cents ans après Chateaubriand. Et ce ne sont là que quelques exemples !
Toutes ces opinions, tous ces jugements, aussi tranchés, aussi opposés restent-ils, toutes ces célébrations, ont la même cause : la destinée inouïe dans laquelle Napoléon s'est inscrit, en donnant à sa vie l'éclat d'une épopée.
C'est cette vie que nous allons évoquer ici pour que chacun puisse à son tour se faire une opinion raisonnée sur ce personnage essentiel de l'histoire de France. Un personnage qui a fait revivre, deux mille ans plus tard, les grandes figures d'Alexandre le Grand et de Jules César, et qui, tout comme eux, fut bien plus qu'un conquérant. Son oeuvre administrative, considérable, lui a survécu. La France d'aujourd'hui, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, est fille de cette France de la Révolution et de l'Empire — périodes indissociables — que Napoléon Bonaparte a façonnée.
Une France où il repose, à Paris, en l'hôtel des Invalides, depuis le 15 décembre 1840.