La chaussée des Géants
A-t-on jamais connu soldat plus brillant que Joachim Murat, plus courageux que Michel Ney, plus fidèle que Louis-Nicolas Davout ? A-t-on jamais croisé diplomate plus retors que Talleyrand, policier plus cauteleux que Fouché, geôlier plus vétilleux qu'Hudson Lowe ? La France a-t-elle jamais eu ennemi plus rigoureux que Blücher, plus méthodique que Wellington, plus sournois qu'Alexandre Ier ?
Si la figure de Napoléon domine naturellement son époque, ce n'est pas comme un pic isolé dans une plaine étale mais au contraire comme le sommet le plus majestueux d'une chaîne grandiose et festonnée d'orages.
Les hommes de guerre, bien sûr, sont les plus nombreux à avoir inscrit leur nom dans la mémoire collective. Dans ces années tumultueuses, presque chaque état de l'Europe a vu se lever des soldats hors du commun pour le défendre. En France bien sûr, mais aussi en Allemagne, en Russie, en Autriche et évidemment en Angleterre se sont, au cours de ces temps épiques, bâties nombre des carrières les plus glorieuses de l'histoire militaire. En Espagne, c'est même, pourrait-on dire, le peuple tout entier qui a inventé une nouvelle façon de se battre, portant sur le devant de la scène quelques chefs de guerilla dont l'héritage, leçon de courage et d'espérance pour les nations opprimées, a fait, dans les siècles suivants, le tour de la Terre.
Mais la société civile ne fut pas en reste. La littérature, les arts, les sciences, la médecine, connaissent en cette période de glorieuses efflorescences, inscrivant sur le livre d'or de l'histoire humaine les noms de leurs plus brillants représentants. Berthollet, Chateaubriand, David, Ingres, Lagrange, Laplace, Madame de Staël, Volta, pour ne citer que quelques sujets de l'Empire, illustrent celui-ci avec l'éclat le plus inaltérable, parfois à leur corps défendant. Mais, à l'étranger, et dans les registres les plus divers, c'est aussi le temps de ces géants que sont Jane Austen, Beethoven, Gauss, Goethe, Goya, Thomas Jefferson, Metternich, Paganini ou, reconnaissons-le, Pitt le jeune.
Une fois au pouvoir, et dans la mesure où cela lui était possible, Napoléon à tenté de mettre en valeur ces supériorités en faisant d'elles la source de toutes les dignités, en créant une noblesse où toutes avaient leur place. Modestement, et progressivement, c'est le même but que nous poursuivrons dans ces pages, d'honorer ceux qui l'ont tant mérité, y compris quelques oubliés plus modestes, et sans cacher les mérites des formidables ennemis qui se dont dressés alors face à la France, ses idéaux et son chef.