Comte de l’Empire
Prononciation :
Michel Regnault (nom tout aussi souvent orthographié Regnaud) naît à Saint-Fargeau, dans l’Orléanais [aujourd’hui dans l’Yonne], le 3 novembre 1760 (d’après la base de données de l’Assemblée nationale, 1762 selon le dictionnaire Napoléon). Son père est avocat. Le couple formé par ses parrain et marraine appartient à la famille Le Peletier de Saint-Fargeau, éminente dynastie de la noblesse de robe. Dans ses jeunes années, leur filleul partage le précepteur de leurs enfants. Plus tard, il quitte sa ville natale avec ses parents pour aller vivre en Saintonge, à Saint-Jean-d’Angély, d’où sa mère tire ses origines.
En 1771, Regnaud rejoint le collège du Plessis-Sorbonne, à Paris, mais il doit arrêter ses études lorsque la maladie de son père l’oblige à assumer la charge de sa famille. Il s’établit à Rochefort comme lieutenant de la prévôté de la Marine. Cet emploi lui permet d’assurer la subsistance des siens. Regnaud poursuit néanmoins en parallèle ses études, montant périodiquement dans la capitale pour y étudier le droit en vue de devenir avocat. Après avoir réussi ses examens, il installe son cabinet à Rochefort, en 1784. Une attention particulière pour les populations défavorisées en assure le succès.
À la mort de son père, Regnaud retourne vivre à Saint-Jean-d’Angély. Il y passe les dernières années de l’ancien régime. En 1789, la sénéchaussée de la ville lui confie, avec d’autres, la rédaction les cahiers de doléances du tiers état. Le 16 mars, elle l’envoie siéger aux États généraux avec 176 voix sur 301 votants. Réformateur mais modéré, Regnaud se situe parmi les partisans d’une monarchie constitutionnelle, appelés Monarchiens. C’est alors qu’il accole à son nom celui de sa ville afin de se distinguer de ses homonymes.
Le Journal de Versailles, qu’il crée en 1789, permet à Regnaud de Saint-Jean-d’Angély de diffuser ses opinions. Libéral, ami de madame de Staël et acquis aux idées nouvelles, il fréquente d’abord le club des Jacobins. Celui-ci accueille alors aussi bien Maximilien de Robespierre qu’Antoine Barnave, les frères Charles et Alexandre de Lameth ou Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau, dont l’éloquence domine les débats durant les deux premières années. En mai 1791, Regnaud fait voter à l’Assemblée le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon. Les 20 et 21 juin suivants, la fuite de Louis XVI puis son arrestation à Varennes provoquent une scission à l’intérieur du camp révolutionnaire. Le club des Jacobins se divise. Les radicaux en conservent le contrôle. Regnaud, avec la majorité modérée, rejoint le club des Feuillants. Ses membres demeurent obstinément fidèles aux institutions établies par l’Assemblée Constituante. Ils restent favorables à la Constitution et au maintien de la royauté. Durant toute cette période, Regnaud continue de s’exprimer au sein de plusieurs journaux, toujours d’opinion modérée : le Journal de Paris d’André Chénier et L’Ami des patriotes, qu’il rédige avec Adrien Cyprien Duquesnoy.
Quand l’Assemblée Constituante se sépare pour laisser la place à la Législative, Regnaud reprend son métier d’avocat et entre secrètement au service de la cour. La chute de la royauté, le 10 août 1792, l’oblige à se cacher quelques semaines car son nom est inscrit sur une liste de proscription. Il sort de la clandestinité dès octobre mais y replonge début 1793, après le procès du roi, pendant lequel il a tenté d’influer sur le vote de députés. L’armée du Nord lui sert de refuge, sous une identité d’emprunt. Mais il y est reconnu, arrêté à Douai et incarcéré. Transféré à Paris, il parvient à s’évader et disparaît à nouveau avec l’aide d’amis qui le ravitaillent dans sa cachette de la rue du Bac, jusqu’au 9 thermidor qui voit la chute de Robespierre.
Après cette date, Regnaud s’installe chez les parents d’une jeune actrice, Marie-Louise Chenié, qui lui donne un fils le 30 juillet 1794. Le mariage des deux jeunes gens, pourtant conclu, ne peut avoir lieu car Marie-Louise meurt quelques jours à peine après ses couches. Le petit Auguste est reconnu par son père puis adopté par l’épouse de celui-ci ; en effet, un an à peu près après la naissance de l’enfant, Regnaud a convolé en justes noces avec Laure Guesnon de Bonneuil.
En 1796, Regnaud devient administrateur des hôpitaux de l’armée d’Italie. À ce poste, il entre pour la première fois en contact avec le général Bonaparte. La carrière de Regnault sera désormais étroitement liée à celle de Napoléon, qui trouve en lui un collaborateur précieux, à la fois extrêmement intelligent, grand travailleur et excellent orateur. Pour l’heure, ils coopèrent à la rédaction du journal La France vue de l’armée d’Italie.
Lors de l’expédition d’Égypte, Regnault, malade, ne dépasse pas Malte où il reste en tant que commissaire du Directoire du 13 juin au 9 novembre 1798. Il rentre en France réclamer des secours au moment où le blocus anglais de l’île se met en place.
Un an plus tard, Regnault participe au coup d’État du 18 brumaire an VIII et devient membre du Conseil d’État (4 nivôse / 25 décembre 1799). Trois ans plus tard, après avoir rempli plusieurs missions importantes, il y prend la présidence de la section de l’Intérieur (27 fructidor an X / 14 septembre 1802). Son prestige comme son ascendant l’y placent au-dessus de tous ses collègues, même les plus illustres, car son activité s’exerce dans toutes les spécialités, grâce à son érudition et à sa puissance de travail reconnues. Sous l’Empire, il sera l’un des seuls à oser parfois exprimer un avis contraire à celui du souverain.
Napoléon, qui le tient en haute estime, décore Regnaud de la Légion d’honneur dès le 9 vendémiaire an XII (2 octobre 1803) avant de le promouvoir au rang de grand officier le 25 prairial (13 juin 1804). Le chef de l’état apprécie à leur juste valeur l’habileté et les capacités de persuasion de ce collaborateur précieux, l’éloquence qui le place parmi les meilleurs orateurs de l’Empire, ainsi que son aisance dans la rédaction. Il met à profit ces qualités en le chargeant de présenter devant le Sénat et le Corps législatif la plupart des textes les plus marquants. Regnault contribue par conséquent à la confection des codes napoléoniens, des discours et de la correspondance impériale. Mais il intervient également dans les affaires privées de l’Empereur, ce qui lui vaut de jouer un rôle dans le divorce avec Joséphine de Beauharnais. Napoléon l’utilise encore comme porte-parole face aux assemblées et lui confie en particulier le soin d’y expliquer sa politique intérieure et les levées de soldats.
Ainsi distingué, Regnaud cumule les fonctions prestigieuses et les honneurs, de même que les traitements, gratifications et dotations qui les accompagnent : procureur général près la haute cour impériale (17 messidor an XII / 5 juillet 1804), secrétaire d’État de la famille impériale (1807), ministre d’État (1807), comte de l’Empire (24 avril 1808), grand-croix de l’ordre de la Réunion en 1813. Ces distinctions flattent une vanité qui n’est pas son moindre défaut. Mais il se montre aussi extrêmement sensible et bienveillant. Ses bonnes actions sont légion. On pourra écrire de lui : Il n’a jamais méconnu, dans leur infortune, ceux à qui il avait témoigné de l’amitié dans leur prospérité, et il a même été plusieurs fois le soutien de gens qu’il n’aimait pas et qui étaient injustement opprimés.
De 1810 à 1815, Regnault de Saint-Jean-d’Angély préside la commission de la vente de la Description de l’Égypte, ouvrage encyclopédique monumental, issu des données scientifiques et iconographiques recueillies durant la campagne d'Égypte de 1798-1799.
Durant les derniers mois de l’Empire, il reçoit le commandement d’une légion de la garde nationale (janvier 1814). À sa tête, le 30 mars, il sort de Paris au-devant de l’ennemi mais fait hâtivement marche arrière, donnant prise à des accusations infondées de lâcheté. Il part peu après rejoindre à Blois l’impératrice Marie-Louise, auprès de laquelle il se tient jusqu’au 8 avril.
L’année suivante, le retour de Napoléon ramène Regnault au pouvoir. Défenseur acharné de l’Empire, il est élu représentant de la Charente-Inférieure au début des Cent-Jours et retrouve bientôt son titre de ministre d’État. Après la bataille de Waterloo, il évite à l’Empereur une seconde déchéance par les Assemblées et lui conseille d’abdiquer en faveur du roi de Rome.
Après la fin définitive de l’Empire, Regnaud, dont le nom figure à l’article II de l’Ordonnance de proscription signée par Louis XVIII le 24 juillet 1815, préfère s’éloigner de la France. Il part pour les États-Unis (28 août 1815) où il passe une année puis, revenu en Europe, s’installe à Liège [actuelle Belgique]. Le 21 mars 1816, Regnaud est exclu de l’Académie française où il avait été élu en 1803 ; il fait donc partie des dix-neuf membres radiés de cette institution depuis sa création par le cardinal de Richelieu, dont douze à la Restauration. Ses efforts pour obtenir le droit de rentrer dans son pays aboutissent enfin en 1819, grâce à Élie Decazes, ministre de l’Intérieur du gouvernement Jean-Joseph Dessolles. Regnaud, malade et épuisé, meurt à Paris le 11 mars de cette année, la nuit même de son retour.
Il est inhumé au cimetière parisien du Père-Lachaise , dans la 11e division.
Le comte Michel Louis Étienne Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d'après François Gérard.
Ses mémoires, les Souvenirs de M. le comte Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, parus en 1817, sont apocryphes.
Sa femme, Laure de Bonneuil, était d’une grande beauté et tenait un salon réputé durant l’Empire, qui attirait artistes et hommes de lettres. Napoléon ne l'aimait pas, peut-être pour avoir repoussé ses avances. La vie sentimentale passablement agitée de la jeune femme n’avait probablement pas amené l'Empereur à envisager cet échec. La comtesse Regnaud n'en montrera pas moins une grande loyauté à l'Empire, y compris lorsque celui-ci vivra des jours difficiles.
Son fils, Auguste Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, deviendra maréchal de France sous Napoléon III. Cette dignité récompensera les services rendus lors de la campagne d’Italie de 1859, en particulier au cours de la bataille de Magenta.