N & E
Napoléon & Empire

Bataille de Waterloo (Mont-Saint-Jean)

Date et lieu

  • 18 juin 1815 au Mont-Saint-Jean, au sud du village de Waterloo, à 20 kilomètres de Bruxelles, en Belgique.

Forces en présence

  • Armée française du Nord, sous le commandement de l'Empereur Napoléon 1er.  
  • Coalition de troupes du royaume de Prusse, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, du royaume de Hanovre, du duché de Nassau et du duché de Brunswick, sous les ordres du feld-maréchal Gebhard Leberecht von Blücher et du maréchal Arthur Wellesley, duc de Wellington.  

Pertes

  • Armée française : 24 000 à 26 000 hommes (morts, blessés ou prisonniers).  
  • Coalisés : 29 500 tués, blessés ou prisonniers.  

Panoramique aérien du champ de bataille de Waterloo

Le champ de bataille de Waterloo, vu depuis l'observatoire de Napoléon, les environs de Papelotte et la ferme d'Hougoumont.

La bataille de Waterloo est l'ultime bataille et la plus décisive livrée par Napoléon. Elle met fin à son épopée. La résistance acharnée de Wellington, désespérement accroché au terrain, l'arrivée décisive des Prussiens de Blücher, ont raison des efforts colossaux déployés par les Français tout au long d'une journée qui a marqué l'histoire du monde.

Situation générale

L'Europe des coalisés de 1814, toujours réunie en congrès au palais de la Ballhausplatz  de Vienne [Wien] lorsque Napoléon reprend le pouvoir à Paris le 20 mars 1815, refuse aussitôt d'accepter le fait accompli. Sans tenir compte des intentions pacifiques proclamées par l'Empereur des Français, et affectant de ne plus le tenir que pour un criminel, elle se met immédiatement en devoir de reprendre les hostilités.

Il lui faut cependant le temps de remettre en campagne ses armées démobilisées. Gebhard Leberecht von Blücher, à la tête des troupes prussiennes, et Arthur Wellesley, duc de Wellington, commandant une coalition de Britanniques, de Hollandais et d'Allemands sont les premiers à pied d'oeuvre et se concentrent en Belgique (faisant alors partie du Royaume uni des Pays-Bas, créé par la proclamation du 15 mars 1815), le Prussien dans l'est de la région, l'Anglais plus à l'ouest, tandis que Russes et Autrichiens, en juin, n'en sont encore qu'à se mettre en route pour le théâtre des opérations.

Napoléon choisit de profiter de ces délais. Ayant su mettre sur pied en un temps record une armée de 120 000 hommes, il prend l'offensive et passe la Sambre  à Charleroi dans la nuit du 14 au 15 juin. Ce mouvement soudain et imprévu - on ne pense pas alors se battre avant juillet - lui permet de s'enfoncer entre ses deux adversaires, dont il entend disposer successivement, ses forces étant supérieures à celles dont dispose chacun d'eux.

Les combats du lendemain s'achèvent pourtant sur un bilan mitigé pour les armées impériales. Si Napoléon lui-même a personnellement obtenu un succès sur les Prussiens de Bluecher à Ligny , à 15 kilomètres au nord-est de Charleroi, cette victoire n'a rien eu de décisif. L'ennemi a pu s'enfuir.

En outre, le même jour, et malgré tous ses efforts, le maréchal Michel Ney n'a pu déloger Wellington du carrefour de Quatre-Bras , à 13 kilomètres au sud de Waterloo, position centrale et stratégique, croisement des routes de Bruxelles à Charleroi et de Nivelles à Namur, dont la conquête aurait pu permettre au corps de Ney de tomber sur les arrières de Blücher et de le détruire.

Le champ de bataille des Quatre-Bras
Le champ de bataille des Quatre-Bras

Cependant, du côté français, on surestime l'importance de la victoire de Ligny et, quand les premiers rapports reçus par l'état-major laissent supposer que l'armée prussienne se retire vers sa base d'opération dans la Meuse, l'Empereur en déduit que l'un des principaux objectifs de ce début de campagne, à savoir séparer les armées ennemies, est atteint.

Il peut maintenant espérer obtenir une victoire décisive contre les Anglais tandis que le tout récent maréchal Emmanuel de Grouchy, à la tête de la réserve de cavalerie et des IIIe corps et IVe Corps (Jérôme Bonaparte et Étienne Maurice Gérard ) se chargera d'empêcher un retour offensif des Prussiens.

Mais ceux-ci ne sont pas si mal en point. Ils ont sauvé le plus gros de leur artillerie, leur moral est inentamé et le corps de Friedrich Wilhelm von Bülow , absent à Ligny, est intact. Mieux, le brillant chef d'Etat-major de Blücher, le général August Neidhardt von Gneisenau, a su préserver leurs possibilités de jonction avec Wellington en organisant la retraite sur Wavre , selon le plan prévu avec son allié britannique en cas d'échec.

Le lendemain, 17 juin, tandis que Napoléon confie enfin à Grouchy le soin de poursuivre Blücher (il ne rattrapera jamais sa demi-journée de retard), Wellington, informé de la défaite prussienne, traverse la Dyle et se replie sur une position reconnue et préparée à l'avance, un peu au sud de la forêt de Soignes  et de Waterloo, sur le plateau de Mont-Saint-Jean, en avant du village et de la ferme du même nom  [50.68583, 4.40956].

Les deux généraux coalisés sont convenus au préalable d'y faire leur jonction et Wellington, fort de l'assurance de Blücher d'arriver bientôt avec toute son armée (les communications entre les état-majors anglais et prussiens n'ont pas été rompues), se sent prêt à y accepter la bataille.

Le mouvement échappe d'abord aux Français, qui ne s'en aperçoivent que dans l'après-midi. Napoléon, après avoir rejoint Jean-Baptiste Drouet d'Erlon et Michel Ney vers les Quatre-Bras, poursuit alors les alliés. A la tête de l'avant-garde, il talonne l'arrière-garde britannique et lui inflige quelques pertes.

Puis, vers six heures du soir, arrivée à hauteur de la Belle-Alliance  [50.66842, 4.41350], voyant que les alliés ont pris position, et faute de troupes suffisantes pour engager le combat, il fait bivouaquer l'armée en face d'eux, sur un plateau dont le centre est au village de Plancenoit . Lui-même s'installe son quartier général à la ferme du Caillou  [50.64608, 4.42070]. Il ne croit pas, alors, à l'éventualité d'une bataille pour le lendemain et il restera persuadé très tard que Wellington va se replier dans la nuit ou à la pointe du jour.

Du fait de cette conviction, aucune reconnaissance systématique du terrain n'est effectuée. Napoléon, d'ailleurs, est épuisé et accueille sans réagir une communication de Grouchy, écrite à Gembloux, qui lui annonce que les Prussiens se retirent finalement sur Wavre. Un tel mouvement est pourtant gros d'une menace de jonction entre les deux armées ennemies. Mais l'Empereur n'y croit pas, pas si tôt après une bataille comme celle de Ligny.

La nuit se passe, affreuse pour les soldats des deux camps. La pluie est incessante et un vent glacé souffle de l'est. Les anglo-hollandais ne disposent que d'abris de fortune et d'un minimum de ravitaillement. C'est pire pour les Français. Arrivés trop tard pour chercher de quoi allumer leur feux ou se bâtir des cabanes, ils sont réduits à dormir à même le sol boueux, au milieu des épis de blé détrempés.

Préliminaires

Le plan de Wellington

Il est simple : tenir, en attendant l'arrivée promise de Blücher. Il n'a pas d'autre choix car sa ligne de retraite n'est pas assurée. Derrière lui, il n'a qu'un défilé qui rendrait tout repli désastreux.

Blücher, pour sa part, s'emploie à tenir ses engagements :

  1. De bon matin, il envoie son IVe corps, celui de Friedrich Wilhelm Bülow von Dennewitz , vers Chapelle Saint-Lambert, par Wavre , dans le but d'attaquer de flanc l'armée française si la bataille est engagée à son arrivée.
  2. Le IIe Corps, de Georg Dubislav Ludwig von Pirch , le suit de prés.
  3. Le Ier Corps, de Hans Ernst Karl von Zieten , a ordre de marcher plus au nord afin de rejoindre la gauche de Wellington.
  4. Le IIIe Corps, de Johann von Thielmann , doit tenir Grouchy en respect afin de laisser libre de leurs mouvements les trois autres corps prussiens.

Le plan de Napoléon

Le matin du 18 juin, il est manifeste que Wellington n'a pas engagé de mouvement rétrogade pendant la nuit, ce que confirment des déserteurs belges. Napoléon en est satisfait. Sa crainte est même que le mauvais temps l'empêche de profiter des dispositions belliqueuses de l'ennemi.

Il souhaiterait attaquer au plus tôt, vers neuf heures du matin, mais les conditions sont telles, le sol si détrempé qu'il faut attendre. Après que les artilleurs ont annoncé que le terrain leur permettrait bientôt de manoeuvrer, Napoléon monte sur le tertre de Rossomme, en avant de son quartier-général, afin d'observer les lieux. De là, il peut voir les bois d'Hougoumont et de la Haie-Sainte mais non les dispositions qu'ont prises les Alliés pour leur défense. Il reçoit en outre le rapport du général François Nicolas Benoît Haxo , de retour d'une reconnaissance, qui ne fait état, à tort, d'aucune fortification.

Répondant enfin à la lettre de Grouchy reçue dans la nuit, il lui ordonne seulement de se diriger vers Wavre afin de "lier les communications". Puis, vers onze heures, il dicte son ordre de bataille :

Une fois que l'armée sera rangée en bataille, à peu près à une heure après-midi, au moment où l'Empereur en donnera l'ordre au Maréchal Ney, l'attaque commencera pour s'emparer du village de Mont-Saint-Jean, où est l'intersection des routes. A cet effet, les batteries de 12 du IIe Corps et du VIe se réuniront à celle du Ier Corps. Ces 24 bouches à feu tireront sur les troupes du Mont-Saint-Jean, et le comte d'Erlon commencera l'attaque, en portant en avant sa division de gauche et la soutenant, selon les circonstances par les divisions du 1er corps.

Le IIe corps s'avancera à mesure pour garder la hauteur du comte d'Erlon. Les compagnies de sapeurs du premier corps seront prêtes pour se barricader sur le champ à Mont-Saint-Jean.

Le plan de Napoléon est de s'attaquer au point le plus faible de l'ennemi : son flanc gauche. L'effort doit donc surtout porter à l'est et au centre (la ferme de la Haye Sainte ) pour tenter de s'emparer de la route de Bruxelles, seule ligne de retraite des Alliés.

Un important soutien d'artillerie est prévu, déployé devant le Ier Corps, et qui comprendra finalement non pas 24 mais 80 canons. C'est ce qu'on appellera la Grande batterie.

Enfin, pour inciter Wellington à renforcer son aile droite au détriment de celle sur laquelle portera l'attaque véritable, la seule division de Jérôme Bonaparte, du IIe Corps (commandé par le général Honoré Charles Reille ), effectuera au préalable une fausse attaque sur la ferme de Hougoumont.

La ferme d'Hougoumont, au sud-ouest du champ de bataille de Waterloo
La ferme d'Hougoumont, au sud-ouest du champ de bataille de Waterloo

La disposition des troupes alliées

Wellington dispose d'une armée multinationale de 68 à 71 000 hommes : 25 000 Britanniques, 17 000 Néerlandais (en y comptant les Belges, qui sont alors sujets du royaume de Hollande), 10 000 Hanovriens, 7 000 Brunswickois, 6 000 hommes de la King's German Legion, 3 000 Nassoviens, quelques royalistes français. Son artillerie compte 184 canons.

Les troupes sont en bataille sur le plateau de Mont-Saint-Jean, au sud du village du même nom, à cheval sur la route de Charleroi à Bruxelles.

Déployées le plus souvent à contre-pente, pour mieux les protéger et cacher leurs mouvements, elles font face au sud et bénéficient de trois points d'appui, en avant de leur front, qu'elles ont fortifiés et bien pourvus en défenseurs. Ce sont, d'est en ouest :

  1. la ferme de la Papelotte  [50.68010, 4.43363], près du hameau de la Haie ;
  2. la ferme de la Haye-Sainte  [50.67801, 4.41228] ;
  3. la ferme-château d'Hougoumont  [50.67060, 4.39465].

L'aile gauche (à l'est) est protégée par un ravin escarpé qui descend vers le village d'Ohain. La réserve est à Mont-Saint-Jean même et la cavalerie se tient sur l'arrière de l'armée, rangée sur trois lignes.

Le front s'étend sur 4000 mètres environ. Deux détachements, le premier à Tubise, le second à Clabbeck et Braîne-le-Château surveillent la route de Mons.

La disposition des troupes françaises

Napoléon dispose de 73 000 hommes environ, soit une très légère supériorité numérique sur Wellington. En ce qui concerne l'artillerie, son avantage est beaucoup plus conséquent puisqu'il possède 266 canons, 82 de plus que son adversaire.

L'armée prend position pour l'attaque à un kilomètre du plateau.

L'aile droite (à l'est) comprend le Ier corps de Drouet d'Erlon, de 20 000 hommes, les 2700 cavaliers du corps de cavalerie de Jean-Baptiste Milhaud  et la division de cavalerie de la Garde de Charles Lefèbvre-Desnouettes (2000 cavaliers). Elle s'étend depuis la route de Bruxelles jusqu'en face de la ferme de la Papelotte.

L'aile gauche (à l'ouest) est composée du IIe Corps de Reille, avec 20 000 hommes également, suivi des 3400 cavaliers du corps de cavalerie de François-Etienne Kellermann et de la division de cavalerie de la Garde de Claude Étienne Guyot  (2100 cavaliers). Elle va de la gauche de la route de Bruxelles jusqu'au bois de Hougoumont, que touche la division Jérôme qui forme l'extrême gauche du dispositif.

Les deux ailes sont de front. Plus en arrière viennent le VIe Corps de Georges Mouton, comte de Lobau, de 10 000 hommes seulement, les divisions de cavalerie de Jean-Siméon Domon  et de Jacques-Gervais Subervie  (de 1200 cavaliers chacune) et trois divisions d'infanterie de la Garde (en tout 9000 hommes), dont la place exacte varie selon les compte-rendus napoléoniens (bulletin, dictée de 1818, dictée de 1820) mais qui semble avoir été placé, en fait, d'après la plupart des témoins et ainsi que le rapporte le bulletin publié aussitôt après les faits, derrière la droite du Ier corps.

Enfin, de nombreux canons sont concentrés à droite de la route, en avant de la Belle-Alliance, sur une arête :

Emplacement probable de la Grande Batterie
Emplacement probable de la Grande Batterie

La bataille

L'attaque de diversion sur Hougoumont

Vers 11 heures ou 11 heures 30, l'attaque sur Hougoumont frappe les trois coups de la bataille. Mais les ordres de Napoléon sont mal interprétés. Alors qu'il n'a ordonné qu'une simple démonstration sur le hameau et ses alentours, afin d'y fixer l'ennemi, son frère Jérôme va s'obstiner pendant toute la journée à tenter de s'emparer de la ferme et du château, dont les bâtiments, fortifiés, sont tenus par plusieurs compagnies de Gardes anglais et de troupes nassoviennes tout comme le bois environnant.

Le premier assaut est brisé à trente pas du corps de ferme par un feu nourri venu du mur d'enceinte. A midi, malgré les conseils de son chef d'état-major, le général Armand Charles Guilleminot , qui propose de se contenter de tenir le bois, Jérôme déclenche une nouvelle attaque. Elle bénéficie cette fois d'un soutien d'artillerie et leur effort mène les soldats jusqu'aux bâtiments. La porte sud les arrête, pas la nord, ouverte à coups de hache. L'infanterie française pénètre un moment dans les jardins. Après de très violents combats et de lourdes pertes (seul un jeune tambour en réchappera), elle ne parvient pas à s'y maintenir.

A partir de 14 heures, les obusiers français entrent en action et pilonnent la ferme. Plusieurs centaines de défenseurs meurent dans l'incendie provoqué par le bombardement. Pourtant, ce qu'il reste de troupe à l'extérieur tient bon et conserve le contrôle du terrain.

La division de Maximilien Sébastien Foy  est engagée à son tour et ce seront finalement trois divisions qui vont être gaspillées dans un combat inutile, 8000 hommes mobilisés pour en affronter 2000, à rebours des intentions de Napoléon. Le tout, au prix de pertes considérables, pour n'obtenir aucun résultat appréciable.

Première apparition des Prussiens

Au moment où se prépare la grand attaque du Ier Corps, alors que la grande batterie va entrer en action, aux alentours de 13 heures, un mouvement de troupes est repéré au sortir du bois de la Chapelle-Saint-Lambert, à huit kilomètres environ, à l'est du champ de bataille.

Assez vite, des éclaireurs français affirment qu'il s'agit de Prussiens. Une lettre interceptée sur un sous-officier prussien de hussard confirme bientôt qu'il s'agit de l'avant-garde du IVe Corps de Bülow, fort de 30 000 hommes, qui arrive par les défilés de la Lasne et le bois de Paris où nul détachement français ne s'est trouvé pour freiner son avance.

L'armée française court donc le risque de voir déboucher les Prussiens sur son aile droite, ou, pire, sur ses arrières.

Napoléon fait écrire à Grouchy de se hâter de rejoindre le champ de bataille en cessant de courir derrière le rideau de fumée tendu par les Prussiens. Il semble bien que cet ordre, confié par Jean-de-Dieu Soult, major-général, à un unique messager - Ah Monsieur, Berthier, lui, en aurait envoyé cent, lui dira l'Empereur en l'apprenant - soit arrivé trop tard ou se soit égaré. Grouchy, sans ces nouveaux ordres, et malgré les objurgations de ses subordonnés de "marcher au canon", n'arrivera jamais.

Contraint désormais de protéger son flanc droit et ses arrières, Napoléon envoie au delà de Plancenoit deux divisions de cavalerie légère, celles de Domon et Subervie. Leur mission est d'observer l'ennemi, de le contenir et de se joindre aux colonnes de Grouchy dès qu'elles feront leur apparition. Enfin, le VIe Corps du comte de Lobau reçoit l'ordre de se placer en potence entre ces cavaliers et la droite française, en choisissant une position où 10 000 hommes pourront en arrêter 30 000.

Ce dispositif représente près de 13 000 hommes qui ne pourront participer à l'offensive sur Mont-Saint-Jean.

L'attaque du Ier Corps

Elle commmence vers douze heures trente ou treize heures par une demi-heure d'intense préparation d'artillerie, menée par la grande batterie de 80 canons qui s'allonge sur 1400 mètres de long face au centre anglo-hollandais. Mais cette canonnade n'a pas l'effet escompté. L'ennemi est dissimulé derrière la crête du plateau et le tir ne peut donc être qu'approximatif. De plus, les boulets ne ricochent pas dans le sol boueux, les obus explosent en ne projetant que d'inoffensives cataractes de terre détrempée.

Vers 13 heures 30, les 17 000 fantassins du Ier Corps de Drouet d'Erlon passent à l'attaque sur une ligne qui va de la ferme de la Haye-Sainte  à celle de Papelotte. Elles sont rangées selon un dispositif inhabituel, non prévu par le règlement, qui va s'avérer catastrophique. Les bataillons sont alignés les uns derrière les autres en masses compactes, de 180 hommes de large sur 24 de profondeur, à la fois extrêmement vulnérables aux canons ennemis et difficiles à faire manoeuvrer, particulièrement en cas d'attaque de cavalerie.

Sans avoir réussi à s'emparer des deux fermes, l'infanterie française est cependant parvenue à prendre pied sur le plateau quand Wellington déclenche une contre-attaque. La disposition malencontreuse des troupes révèle alors toute sa nocivité. Après avoir déjà multiplié les pertes lors de l'assaut, elle paralyse maintenant les mouvements des troupes lorsqu'il leur faut se déployer. La masse compacte des soldats français piétine, incapable de manoeuvrer.

L'ennemi en profite. Lui qui a subi la canonnade couché dans les seigles, se relève maintenant et charge à la baïonnette les flancs de la colonne française. L'infanterie écossaise du général Sir Thomas Picton  (qui périt dans l'action) se rue sur un adversaire en pleine confusion. Sur ordre de Wellington, Lord Uxbridge (Henry William Paget, 2e comte d'Uxbridge)  fait donner les régiments de cavalerie lourde de Lord Robert Somerset  et la Union Brigade commandée par Sir William Ponsonby .

Les Français refluent en désordre, au milieu des cavaliers anglais qui les pourfendent à loisir. Le reflux emporte les assaillants de la Haye-Sainte. Ceux de Papelotte se retrouvent sans protection et chargés par les dragons anglais mais parviennent néanmoins à conserver de l'ordre dans leur repli.

Enivrées par leur succès, les deux brigades de cavaliers britanniques poursuivent leur charge jusqu'à la grande batterie. Mais là, désorganisées, handicapées par leurs montures fatiguées, elles subissent à leur tour les contre-charges simultanées de deux brigades de cuirassiers du général Milhaud et du 4ème régiment de lanciers impériaux qui les anéantissent. Wellington n'a plus de cavalerie.

L'attaque du Ier Corps est toutefois un échec complet. Ses 2ème et 3ème divisions sont totalement désorganisées. La 1ère et la 4ème n'interviendront plus que dans des escarmouches contre la ligne anglaise, sur la Haye-Sainte et le hameau de Smohain. Le centre anglais, lui, tient toujours.

Les charges de Ney

Napoléon n'a pas d'autre solution que de mener une seconde attaque. Entre 15 et 16 heures, pendant que le Ier Corps se réorganise, la grande batterie effectue un nouveau tir de préparation. L'attaque sur la Haye-Sainte échoue à nouveau mais Wellington a fait légèrement reculer son centre pour ré-aligner ses troupes et les mettre quelque peu à l'abri de la canonnade. Ney voit dans ce mouvement un début de retraite et décide de l'exploiter. Il est autour de 16 heures.

De son propre chef - Napoléon, malade, ayant provisoirement abandonné le champ de bataille - Ney fait donner les cuirassiers de Jean-Baptiste Milhaud et de Jacques-Antoine-Adrien Delort , ainsi que les chasseurs et les lanciers de Lefebvre-Desnouettes sur le centre-droit ennemi, encore intact, entre la Haye-Sainte et Hougoumont. L'Empereur, qui se trouve alors à la maison Decoster  [50.66410, 4.41377], a dû voir le mouvement. Il n'intervient pas.

Les Lanciers rouges de la Garde Impériale se préparant à attaquer
Les Lanciers rouges de la Garde Impériale se préparant à attaquer (reconstitution de 2015)

Au retour de Napoléon sur le champ de bataille, les deux premières charges ont déjà échoué. L'Empereur désapprouve l'initiative de Ney mais, à contrecoeur et poussé par son état-major, décide néanmoins de l'appuyer.

À 17 heures, les carabiniers et cuirassiers du corps de Kellermann, ainsi que les grenadiers à cheval et les dragons de la garde de la division Guyot sont envoyés renforcer Ney, rassemblant sous ses ordre 10 000 chevaux. Toute la cavalerie française est engagée. Mais on néglige de la faire soutenir par l'artillerie !

Les cavaliers français se heurtent à l'infanterie britannique qui s'est formée en carrés, la meilleure disposition pour leur résister. Ils ne parviendront jamais à les enfoncer. Les charges manquent de puissance sur ce terrain lourd et montant. De plus, l'artillerie ennemie prélève un lourd tribut sur les assaillants.

Ceux-ci négligeront pourtant toujours d'enclouer ou d'emmener les canons ennemis que leurs servants, après avoir foudroyé presque à bout portant les assaillants, abandonnent pour courir se mettre à l'abri dans les carrés, avant de revenir à leurs pièces intactes lorsque les Français refluent, et de rejouer la même partition lors de la prochaine tentative.

Ney s'obstine dans ce va-et-vient suicidaire pendant deux heures. Les Britanniques, malgré de lourdes pertes, restent stoïques et disciplinés face à la tempête qui s'abat sur eux. Le maréchal revient à l'attaque à douze reprises, il a trois chevaux tués sous lui mais rien n'y fait. Vers 17 heures 30, la cavalerie française est à peu près détruite. Il reste à Napoléon 800 carabiniers.

Après avoir commis l'erreur de lancer ses attaques sans soutien d'infanterie, Ney finit par en réclamer à Napoléon. Mais celui-ci n'a plus de réserve. L'intervention des Prussiens les a déjà consommées.

L'intervention des Prussiens

Vers 17 heures, en effet, le IVe Corps de Bülow est passé à l'attaque vers Plancenoit, où il menace le flanc droit des Français, dont il peut même couper la ligne de retraite. En effet le VIe Corps français, qui lui fait face à un contre trois, recule d'abord au point que les boulets et la mitraille prussiens se mettent à pleuvoir sur la Belle-Alliance et la chaussée, où se tient la Garde.

Napoléon doit envoyer en renfort à Lobau deux divisions de la jeune garde sous le commandement de Guillaume Philibert Duhesme  puis deux régiments de grenadiers et de chasseurs à pied de la vieille garde sous Charles Antoine Louis Alexis Morand  et Jean-Jacques Germain Pelet-Clozeau  pour que leurs efforts conjugués permettent de reprendre le village et de contenir Bülow. Les combats, extrêmement violents, durent jusqu'à 20 heures.

Au même moment, à l'extrême droite du dispositif français, le général Pierre François Joseph Durutte  et sa division s'employent pour leur part à empêcher la jonction des Prussiens et de la gauche de Wellington. Ils s'emparent dans ce but du hameau de Smohain.

Toutes ces forces consommées contre les Prussiens stabilisent le flanc droit de l'armée impériale mais soulagent d'autant la pression qui s'exerce sur Wellington.

La dernière attaque de la Garde

Le duc de Wellington en a, en effet, bien besoin. Il vit à ce moment les instants les plus critiques de la bataille.

Vers 18 heures, les Français s'emparent enfin de la Haye-Sainte. Le chef de ses défenseurs, le major Konrad Ludwig Georg Baring  de la King's German Legion, n'a plus que 42 hommes avec lui lorsqu'il abandonne la ferme. Ce sont là tous les survivants de neuf compagnies !

La ferme de la Haye-Sainte vue depuis la chaussée de Charleroi
La ferme de la Haye-Sainte : façade est, donnant sur la chaussée de Charleroi

Ney y fait mettre en batterie quelques canons dont le tir prend en enfilade la ligne alliée. Un renfort d'infanterie permettrait d'exploiter à fond ce succès si long à obtenir et, peut-être, de percer enfin.

Mais Napoléon ne dispose plus que de quelques bataillons de la Garde et il hésite à les engager alors que les Prussiens menacent encore ses arrières à Plancenoit.

Vers 19 heures 30, cependant, une fois la situation rétablie sur ce point, il décide d'engager une dernière attaque rassemblant tous les hommes encore valides dont il dispose et dont la Garde sera le fer de lance, sous le commandement du maréchal Ney. Il faut percer avant l'arrivée du gros des Prussiens, qui se fait de plus en plus imminente.

En effet, l'avant-garde du Ier Corps de Zieten a été signalée dans la direction d'Ohain vers 19 heures. Napoléon, pour éviter l'effondrement du moral de ses troupes, fait répandre le bruit qu'il s'agit de Grouchy mais il sait bien qu'il n'en est rien et qu'il doit se hâter de faire la décision, s'il est encore temps.

À 19 heures 30, Zieten, malgré quelques hésitations, a déjà atteint Smohain et la Papelotte, ce qui permet à Wellington de resserrer les rangs de son centre en affaiblissant sa gauche, où les Prussiens vont le suppléer.

Si bien que lorsque que la Garde gravit les contreforts du plateau, en un point d'ailleurs mal choisi puisqu'il n'est pas le plus faible du dispositif ennemi, elle est accueillie par le plus terrible des feux d'artillerie et de mousqueterie. Les fusiliers du général Peregrine Maitland , couchés à terre dans les blés, attendent qu'elle ne soit plus qu'à quelques pas pour se lever soudain devant elle et la foudroyer, tels des diables rouges. Au même instant, les néerlandais du général David Hendrik Chassé , eux, attaquent ses flancs à la mitraille.

Trop peu nombreux (neuf bataillons, soit pas plus de 6000 hommes en tout), sans soutien de cavalerie ni d'artillerie, les grognards de la Garde reculent pour la première fois de leur histoire.

La débâcle française

Voyant cela et constatant qu'arrive, non pas Grouchy, comme on le leur avait promis, mais Blücher, dont les troupes ont percé près du hameau de la Haye, inondant le champ de bataille de leur cavalerie, les unités françaises commencent à se débander. A Plancenoit, von Bülow reçoit le renfort du IIe Corps prussien, accentue sa pression et menace directement les arrières des Français.

Wellington fait alors avancer son armée qui descend du plateau, prenant en tenaille les Français entre eux et les Prussiens. Les Alliés séparent le Ier Corps de d'Erlon des bataillons de la Garde qui sont en train de se retirer vers la Belle-Alliance. Toute résistance organisée cesse. Le Ier Corps se désintègre, imité par le IIe, le VIe et la cavalerie.

Seuls les deux bataillons du 1er régiment de Grenadiers de la Garde, formés en carrés, parviennent un moment à contenir l'ennemi. Mais leur position, débordée de toute part, devenant intenable, Napoléon en personne leur ordonne de se retirer. Ils le font en bon ordre, recueillant au passage des débris de l'armée.

L'Empereur lui-même, Jean-de-Dieu Soult, Michel Ney, Henri-Gatien Bertrand , Antoine Drouot , Charles de La Bédoyère trouvent un moment refuge en leur sein.

C'est au court de ces instants pathétiques que le général Pierre Cambronne, du milieu du carré de chasseurs de la Vieille Garde qu'il commande, aurait répliqué aux offres de reddition du général anglais Charles Colville  par cette phrase fameuse : La Garde meurt mais ne se rend pas. L'insistance du britannique l'aurait ensuite amené à condenser sa réponse. Son Merde ! retentissant, qu'il niera toujours avoir prononcé, est pourtant devenu depuis le mot de Cambronne.

À 21 heures, la bataille est terminée.

Un peu plus tard, les deux vainqueurs se retrouvent, vraisembleblement à Belle-Alliance, et conviennent de laisser aux Prussiens le soin de la poursuite.

La ferme de la Belle-Alliance, sur la chaussée de Charleroi
La ferme de la Belle-Alliance, sur la chaussée de Charleroi

L'énergie que va mettre Blücher à cette poursuite, comme à son habitude, d'ailleurs, transforme la défaite en un irréparable désastre.

Les débris de l'armée française ont rejoint Genappe  par la route de Charleroi . C'est là que la défaite se mue définitivement en déroute. Le pont  sur la Dyle  y provoque de nouveaux désordres. Les fuyards s'y entre-tuent pour avancer plus vite et les Français, qui ont pensé y passer la nuit, sont chassés par les Prussiens qui s'y présentent vers onze heures du soir.

Napoléon lui-même, qui tente d'y rallier un corps d'arrière-garde, manque de s'y faire prendre et doit y abandonner sa berline, avec tout son contenu, aux mains de l'ennemi. Vers une heure du matin, il sera à Quatre-Bras.

Les fuyards des Ier et IIe Corps, eux, ont passé la Sambre à Marchiennes mais traversent Quatre-Bras et Gosselies sans qu'on puisse les arrêter pour les réorganiser. La Garde, les restes du VIe Corps et de la cavalerie se retirent sur Charleroi, comme l'Empereur.

Pendant ce temps, Wellington, rentré à son quartier général , rédige son rapport et baptise la bataille du nom du village où il se trouve : Waterloo.

Bilan et conséquences

Bien que vainqueurs, les alliées subissent à Waterloo des pertes équivalentes à celles des Français. Ils déplorent ce 18 juin la perte de 29 500 hommes, dont 8 300 Britanniques, 9 500 Hollandais, Belges et Hanovriens et 8 300 Prussiens. Mais, sans même compter Russes et Autrichiens, qui marchent vers les frontières de la France, ils possèdent des réserves dont Napoléon ne dispose pas.

L'Empereur a en effet perdu l'essentiel de sa masse de manoeuvre. Ne lui restent en état de combattre que le Corps de Grouchy et les garnisons des forteresses. La grande victoire capable d'amener les Alliés à la table des négociations lui a irrémédiablement échappé.

Comme va bientôt lui échapper la situation politique à Paris, où il se rend, peut-être un peu à contrecoeur et poussé par ses généraux (c'est en tout cas ce qu'écrit Jean-Roch Coignet). Quatre jours plus tard, malgré la foule massée devant l'Elysée pour crier encore : Vive l'Empereur, il aura abdiqué. Le 1er Empire prend définitivement fin. La légende va pouvoir commencer de s'écrire.

Carte de la bataille de Waterloo (Mont-Saint-Jean)

Batailles napoléoniennes - Carte de la bataille de Waterloo (Mont-Saint-Jean)

Tableau - "Bataille de Waterloo - Charge des cuirassiers français". Peint en 1874 par Henri-Félix-Emmanuel Philippoteaux.

Batailles napoléoniennes - Tableau de la bataille de Waterloo (Mont-Saint-Jean) -

Selon certains théoriciens militaires, la bataille de Waterloo ouvre une nouvelle période de la tactique, liée à l'accroissement de la puissance de l'artillerie, au cours de laquelle la défense va primer sur l'attaque. La donne ne changera à nouveau qu'avec la seconde guerre mondiale.

Une statue en bronze de l'Empereur , oeuvre du sculpteur Luigi di Quintana Bellini Trinchi, a été érigée en 2002 près de la ferme du Caillou (devenue de nos jours un musée napoléonien).

Une butte de 43 mètres de haut  , surmontée d'un lion de fonte regardant vers la France , a été érigée par les Pays-Bas une dizaine d'années après la bataille, à l'endroit où le Prince d'Orange fut blessé au cours de la bataille.

La légende veut que le maréchal de Grouchy, marchant sur Wavre selon les ordres de l'Empereur, ait pris le temps de déjeuner de succulentes fraises  à la ferme de la Marette   à Walhain, tandis que son adjoint le général Maurice Etienne Gérard l'exhortait à marcher "au son du canon" vers Mont-Saint-Jean, ce qu'il ne fit pas.

Témoignages

La défaite de Waterloo relatée par le Moniteur du 21 juin 1815

Laon, 20 juin 1815. Bulletin de l'armée.

Bataille de Mont-Saint-Jean (ou de Waterloo). A neuf heures du matin, la pluie ayant un peu diminué, le 1er corps se mit en mouvement et se plaça, la gauche à la route de Bruxelles et vis-à-vis le village de Mont-Saint-Jean, qui paraissait le centre de la position de l'ennemi. Le 2ème corps appuya sa droite à la route de Bruxelles, et sa gauche à un petit bois, à portée de canon de l'armée anglaise. Les cuirassiers se portèrent en réserve derrière, et la garde en réserve sur les hauteurs. Le 6ème corps, avec la cavalerie du général Domon, sous les ordres du comte Lobau (Mouton), fut destiné à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports et par une lettre d'un général prussien que portait une ordonnance prise par nos coureurs. Les troupes étaient pleines d'ardeur. On estimait les forces de l'armée anglaise à quatre-vingt mille hommes; on supposait que le corps prussien, qui pouvait être en mesure vers le soir, pouvait être de quinze mille hommes. Les forces ennemies étaient donc de plus de quatre-vingt dix mille hommes; les nôtres étaient moins nombreuses.

A midi, tous les préparatifs étaient terminés, et le prince Jérôme, commandant une division du 2ème corps, destinée à en former l'extrême gauche, se porta sur le bois dont l'ennemi occupait une partie. La canonnade s'engagea; l'ennemi soutint par trente pièces de canon les troupes qu'il avait envoyées pour garder le bois. Nous fîmes aussi de notre côté des dispositions d'artillerie. A une heure, le prince Jérôme (frère de Napoléon) fut maître de tout le bois, et toute l'armée anglaise se replia derrière un rideau. Le comte d'Erlon (Drouet) attaqua alors le village de Mont-Saint-Jean et fit appuyer son attaque par quatre-vingts pièces de canon. Il s'engagea là une épouvantable canonnade, qui dut beaucoup faire souffrir l'armée anglaise. Tous les coups portaient sur le plateau. Une brigade de la 1ère division du comte d'Erlon s'empara du village de Mont-Saint-Jean; une seconde brigade fut chargée par un corps de cavalerie anglaise, qui lui fit éprouver beaucoup de pertes. Au même moment, une division de cavalerie anglaise chargea la batterie du comte d'Erlon par sa droite, et désorganisa plusieurs pièces; mais les cuirassiers du général Milhaud chargèrent cette division, dont trois régiments furent rompus et écharpés.

Il était trois heures après midi. L'Empereur fit avancer la garde pour la placer dans la plaine, sur le terrain qu'avait occupé le 1er corps au commencement de l'action, ce corps se trouvant déjà en avant. La division prussienne, dont on avait prévu le mouvement, commença alors à s'engager avec les tirailleurs du comte Lobau, en plongeant son feu sur tout notre flanc droit. Il était convenable, avant de rien entreprendre ailleurs, d'attendre l'issue qu'aurait cette attaque. A cet effet, tous les moyens de la réserve étaient prêts à se porter au secours du comte Lobau et à écraser le corps prussien lorsqu'il se serait avance.

Cela fait, l'Empereur avait le projet de mener une attaque par le village de Mont-Saint-Jean, dont on espérait un succès décisif; mais, par un mouvement d'impatience si fréquent dans nos annales militaires, et qui nous a été souvent si funeste, la cavalerie de réserve, s'étant aperçue d'un mouvement rétrograde que faisaient les Anglais pour se mettre à l'abri de nos batteries, dont ils avaient déjà tant souffert, couronna les hauteurs de Mont-Saint-Jean et chargea l'infanterie. Ce mouvement, qui, fait à temps et soutenu par les réserves, devait décider de la journée, fait isolément et avant que les affaires de la droite fussent terminées devint funeste. N'ayant aucun moyen de le contremander, l'ennemi montrant beaucoup de masses d'infanterie et de cavalerie, et les deux divisions de cuirassiers étant engagées, toute notre cavalerie courut au même moment pour soutenir ses camarades. Là, pendant trois heures, se firent de nombreuses charges qui nous valurent l'enfoncement de plusieurs carrés et six drapeaux de l'infanterie anglaise, avantage hors de proportion avec les pertes qu'éprouvait notre cavalerie par la mitraille et les fusillades. Il était impossible de disposer de nos réserves d'infanterie jusqu'à ce qu'on eût repoussé l'attaque de flanc du corps prussien. Cette attaque se prolongeait toujours et perpendiculairement sur notre flanc droit. L'Empereur y envoya le général Duhesme avec la jeune garde et plusieurs batteries de réserve. L'ennemi fut contenu, fut repoussé et recula; il avait épuisé ses forces et l'on n'en avait plus rien à craindre. C'était le moment favorable pour attaquer le centre de l'ennemi.

Comme les cuirassiers souffraient par la mitraille, on envoya quatre bataillons de la moyenne garde pour protéger les cuirassiers, soutenir la position, et, si cela était possible, dégager et faire reculer dans la plaine une partie de notre cavalerie. On envoya deux autres bataillons pour se tenir en potence sur l'extrême gauche de la division qui avait manœuvré sur nos flancs, afin de n'avoir de ce côté aucune inquiétude; le reste fut disposé en réserve, partie pour occuper la potence en arrière de Mont-Saint-Jean, partie sur le plateau, en arrière du champ de bataille qui formait notre position de retraite.

Dans cet état de choses, la bataille était gagnée; nous occupions toutes les positions que l'ennemi occupait au commencement de l'action; notre cavalerie ayant été trop tôt et mal employée, nous ne pouvions plus espérer de succès décisifs. Mais le maréchal Grouchy, ayant appris le mouvement du corps prussien, marchait sur le derrière de ce corps, ce qui nous assurait un succès éclatant pour la journée du lendemain. Après huit heures de feu et de charges d'infanterie et de cavalerie, toute l'armée voyait avec satisfaction la bataille gagnée et le champ de bataille en notre pouvoir.

Sur les huit heures et demie, les quatre bataillons de la moyenne garde qui avaient été envoyés sur le plateau au-delà de Mont-Saint-Jean pour soutenir les cuirassiers, étant gênés par la mitraille de l'ennemi, marchèrent à la baïonnette pour enlever ses batteries. Le jour finissait; une charge faite sur leur flanc par plusieurs escadrons anglais les mit en désordre; les fuyards repassèrent le ravin; les régiments voisins, qui virent quelques troupes appartenant à la garde à la débandades crurent que c'était de la vieille garde et s'ébranlèrent: les cris « Tout est perdu ! La garde est repoussée! » se firent entendre. Les soldats prétendent même que sur plusieurs points des malveillants apostés ont crié « Sauve qui peut ! » Quoi qu'il en soit, une terreur panique se répandit tout à la fois sur tout le champ de bataille; on se précipita dans le plus grand désordre sur la ligne de communication; les soldats, les canonniers, les caissons se pressaient pour y arriver; la vieille garde qui était en réserve en fut assaillie et fut elle-même entraînée.

Dans un instant l'armée ne fut plus qu'une masse confuse, toutes les armes étant mêlées, et il était impossible de reformer un corps. L'ennemi, qui s'aperçut de cette étonnante confusion, fit déboucher des colonnes de cavalerie; le désordre augmenta; la confusion de la nuit empêcha de rallier les troupes et de leur montrer leur erreur.

Ainsi une bataille terminée, une journée finie, de fausses mesures réparées, de plus grands succès assurés pour le lendemain, tout fut perdu par un moment de terreur panique. Les escadrons de service même, rangés à côté de l'Empereur, furent culbutés et désorganisés par ces flots tumultueux, et il n y eut plus d'autre chose à faire que de suivre le torrent Les parcs de réserve, les bagages qui n'avaient point repassé la Sambre, et tout ce qui était sur le champ de bataille, sont restés au pouvoir de l'ennemi. Il n'y a eu même aucun moyen d'attendre les troupes de notre droite; on sait ce que c'est que la plus brave armée du monde, lorsqu'elle est mêlée et que son organisation n'existe plus.

L'Empereur a passé la Sambre à Charleroi le 19, à cinq heures du matin. Philippeville et Avesnes ont été données pour point de réunion. Le prince Jérôme, le général Morand et les autres généraux y ont déjà rallié une partie de l'armée. Le maréchal Grouchy, avec le corps de la droite, opère son mouvement sur la basse Sambre.

La perte de l'ennemi doit avoir été grande, à en juger par les drapeaux que nous lui avons pris et par les pas rétrogrades qu'il avait faits; la nôtre ne pourra se calculer qu'après le ralliement des troupes. Avant que le désordre éclatât, nous avions déjà éprouvé des pertes considérables, surtout dans notre cavalerie, si funestement et pourtant si bravement engagée. Malgré ces pertes, cette valeureuse cavalerie a constamment gardé la position qu'elle avait prise aux Anglais, et ne l'a abandonnée que quand le tumulte et le désordre du champ de bataille l'y ont forcée. Au milieu de la nuit et des obstacles qui encombraient la route, elle n'a pu elle-même conserver son organisation. L'artillerie, comme à son ordinaire, s'est couverte de gloire.

Les voitures du quartier général étaient restées dans leur position ordinaire, aucun mouvement rétrograde n'ayant été jugé nécessaire. Dans le cours de la journée, elles sont tombées entre les mains de l'ennemi.

Telle a été l'issue de la bataille de Mont-Saint-Jean, glorieuse pour les armées françaises, et pourtant si funeste.

La Campagne de Belgique de 1815 jour après jour  La Campagne de Belgique de 1815 jour après jour

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Les prises de vues sont de Didier Grau, le montage de Lionel A. Bouchon.