Date et lieu
- 14 octobre 1806 au nord-ouest d'Iéna [Jena], entre Weimar et Leipzig, de nos jours dans le land de Thuringe, en Allemagne.
Forces en présence
- Armée française (de 30 à 65 000 hommes selon le moment) sous le commandement de l'Empereur Napoléon 1er.
- Armée prussienne (55 000 hommes) commandée par le général Friedrich Ludwig Fürst zu Hohenlohe-Ingelfingen.
Pertes
- Armée française : entre 4 000 et 7 500 hommes morts ou blessés.
- Armée saxo-prussienne : 12 000 morts et blessés, 15 000 prisonniers, 30 à 40 drapeaux, la totalité de l'artillerie.
Panoramique aérien du champ de bataille d'Iéna
La victoire d'Iéna, conjuguée à celle d'Auerstaedt, obtenue le même jour par le maréchal Davout, aboutit à la quasi destruction de l'armée prussienne et à l'effondrement de toute résistance dans le pays. Cette catastrophe inattendue sera payée, lors du retour à la paix, d'une diminution drastique de la superficie du royaume de Prusse.
La situation générale
Poussé par le parti violemment anti-français qui domine la cour de Prusse sous l'impulsion de la reine Louise de Mecklembourg-Strelitz, le roi Frédéric-Guillaume III transmet à la France, le 1er octobre 1806 (Napoléon n'en aura connaissance que le 7), un ultimatum lui enjoignant de retirer ses troupes de la rive droite du Rhin avant le 8.
La réaction est immédiate et fulgurante. Napoléon, qui se trouve alors à Bamberg, ouvre les hostilités le 8 octobre en se portant vers le Frankenwald avec la Grande Armée, forte de 180 000 hommes environ. Celle-ci marche vers le nord à travers la Thuringe, se dirigeant vers Leipzig en trois colonnes parallèles, prêtes à se concentrer dans n'importe quelle direction, selon d'où viendra le danger. La Campagne de Prusse a commencé.
Le 10 octobre, à Saalfeld, un premier engagement voit la victoire de Jean Lannes face à l'avant-garde prussienne commandée par le prince Louis-Ferdinand de Prusse , qui trouve la mort sur le champ de bataille.
La vitesse de la manoeuvre surprend totalement les Prussiens alors en route vers le Rhin. Leur armée, forte de 130 000 hommes environ, vit toujours dans le souvenir de sa gloire passée, l'illusion de sa supériorité et le mépris de son futur adversaire. Elle est pourtant commandée par un homme qui a déjà connu la défaite face aux Français, le vaincu de Valmy, Karl Wilhelm Ferdinand von Braunschweig-Wolfenbüttel (connu en France sous le nom de duc de Brunswick) .
Une fois la gauche adverse débordée, Napoléon tente d'exploiter son avantage en envoyant les corps de Jean-Baptiste Jules Bernadotte et Louis-Nicolas Davout en direction de l'ouest, dans l'espoir de couper l'ennemi de sa capitale Berlin. Avec le reste de ses troupes, l'Empereur marche sur Iéna :
Se rendant compte du danger, le commandement prussien change ses plans et la direction de ses déplacements. Brunswick, accompagné de 70 000 hommes environ, prend la direction du nord-est, laissant derrière lui le prince Frederick Louis de Hohenlohe-Ingelfingen protéger sa retraite avec 50 000 soldats.
Position des troupes
Les Prussiens
Dans la nuit du 13 au 14 octobre, les différents détachements placés sous les ordres de Hohenlohe sont organisés de la façon suivante :
- Bogislav Friedrich Emanuel von Tauentzien occupe la ligne Lützeroda-Closewitz
- Ernst Wilhelm Friedrich Philipp von Rüchel est à l'ouest de Weimar, à une vingtaine de kilomètres du futur champ de bataille
- Julius von Grawert campe non loin de Kapellendorf, regardant le sud
- la brigade saxonne de Ludwig Ferdinand von Dyherrn (et non Rudolf Gottlieb von Dyherrn, souvent cité alors qu'il est mort en juillet 1806) est à sa gauche, celle de Heinrich von Cerrini di Monte Varchi près de Kötschau
- la division saxonne de Karl Wilhelm von Niesemeuschel est au sud d'Isserstedt
- la cavalerie prussienne se tient près de Grossromstedt
- Friedrich Jacob von Holtzendorff, avec 4 à 5 000 hommes, garde les ponts de Dornburg et Camburg.
Le tout représente environ 55 000 hommes, munis de 120 canons.
Les Français
L'ensemble des forces à la disposition de l'Empereur totalise environ 65 000 hommes), armés de 173 bouches à feu, mais une bonne partie d'entre eux ne seront pas disponibles durant tout ou partie de la bataille.
Les différents corps français sont placés comme suit :
- Jean Lannes sur la partie orientale du Landgrafenberg, où l'ennemi ne peut le voir
- La Garde à pied, sous le commandement de François-Joseph Lefebvre, est derrière lui
- Charles Augereau est au sud-ouest d'Iéna, vers Lichtenahain
- Jean-de-Dieu Soult a une division à Iéna, les deux autres sont en route et n'atteindront le champ de bataille que le lendemain vers midi
- Michel Ney et son avant-garde (cavalerie d'Auguste François-Marie de Colbert-Chabanais , deux bataillons d'élite et 6 canons) sont à Iéna également
- La cavalerie lourde (Dominique-Louis-Antoine Klein , Jean-Joseph Ange d'Hautpoul, Étienne Marie Antoine Champion de Nansouty ) n'arrivera que dans le cours de la journée du 14.
Le reste de l'armée ne participera pas aux combats.
Préliminaires de la bataille
Le 13 octobre, divers renseignements confirment à Napoléon que l'armée prussienne est en cours de repli en direction de Weimar, avant de se porter sur Berlin. Ses propres troupes suivant pour l'heure une ligne nord-nord-est, il les fait légèrement dévier sur leur gauche afin d'attaquer l'ennemi de flanc.
Son plan prévoit une bataille générale pour le 16 octobre car il ignore que Brunswick, en se retirant, a laissé Hohenlohe derrière lui à Iéna . En se heurtant à ce dernier, c'est donc à toute l'armée prussienne que l'Empereur pense avoir affaire.
Dans la nuit du 13 au 14, Napoléon fait escalader aux 20 000 hommes du corps de Lannes les pentes du Landgrafenberg , pourtant jugées impraticables par les Prussiens et laissées pour cette raison sans surveillance.
Le Ve corps s'avance ensuite sur le plateau de Windknollen et son moulin à vent. Derrière lui viennent l'artillerie puis les 5 000 hommes de la Garde impériale. Ces derniers s'installent autour du quartier-général improvisé sur les hauteurs, en un lieu connu aujourd'hui comme le Napoleonstein [50.94512, 11.57144].
Au matin du 14, Napoléon n'a pas encore l'intention de porter un coup décisif à ses adversaires. Les ordres qu'il donne alors n'ont pour objet que de déployer ses troupes en plaine, en attendant de prendre les dispositions appropriées aux réactions de l'ennemi.
L'étroitesse de l'espace dans lequel sont alors confinés ses soldats les expose en effet à une destruction totale si une attaque les y surprend. L'engagement limité initialement envisagé va cependant évoluer peu à peu en bataille rangée.
Les combats
Premières heures : la lutte contre Tauentzien
L'épais brouillard qui noie le site retarde le début des opérations jusqu'à six heures du matin. A cet instant, malgré l'obscurité qui règne encore, l'Empereur donne l'ordre d'avancer.
Lannes marche en tête. Son Ve corps prend la direction de Closewitz : d'abord les différentes brigades de la division de Louis-Gabriel Suchet – celle de Michel Marie Claparède en deux lignes séparées par deux canons, suivie de celle d'Honoré Charles Reille , enfin celle de Dominique Honoré Antoine Vedel qui sert de réserve – puis, à gauche et légèrement en retrait, la division d'Honoré Théodore Maxime Gazan .
Incapables de distinguer leur objectif, les troupes se fient à la pente pour avancer et viennent donner sans s'en rendre compte sur les avant-postes ennemis établis à la lisière du bois de Closewitz. Une fusillade nourrie s'ensuit pendant plus d'une heure avant que Suchet ne parvienne à s'emparer du bois, une fois le brouillard levé. Les Prussiens se replient sur le village, dont ils sont bientôt également chassés.
Vers huit heures, Suchet, qui marche alors vers Krippendorf , est attaqué sur son flanc gauche par des grenadiers saxons de la brigade Cerrini. Soutenu par des troupes de la division Gazan, il les rejette au-delà de Lützeroda et du ravin de Krippendorf, non sans leur prendre leurs vingt-deux canons.
Le général Tauentzien, après avoir quelque peu négligé la défense des villages de Closewitz et de Lützeroda, est décidé à défendre le Dornberg , qui les surplombe. Mais, alors qu'il y concentre ses troupes, un ordre de Hohenlohe lui enjoint de se replier sur Kleinromstedt (à quatre kilomètres au nord-ouest).
Il se retire alors de sa position – qui tombe aussitôt aux mains de Lannes – et s'installe au nord de Vierzehnheiligen, à l'exception de quelques détachements laissés dans le village et au moulin de Krippendorf [50.98035, 11.54725]. Quatre bataillons de Saxons qui viennent de le rejoindre et une batterie sont positionnés par ses soins sur les pentes au sud de ce village. Il est alors environ 9 heures 30.
La ligne de bataille française se renforce
Pendant ce temps, le reste des lignes françaises s'est mis en mouvement. Dès que l'offensive de Lannes lui en a laissé la possibilité, Ney, uniquement accompagné de son avant-garde, a franchi à son tour et de sa propre initiative le Landgrafenberg pour débouler entre Krippendorf et le bois d'Isserstedt vers 9 heures 15. Il se trouve ainsi prolonger la gauche de Lannes et voit bientôt déboucher à la sienne Augereau et une partie de son VIIe Corps.
Vers 10 heures, en effet, après avoir quitté leurs bivouacs de Lichtenhain au son du canon, difficilement franchi le Mühlthal encombré de troupes et traversé le Cospedaer Grund – ou l'avoir contourné quand les chemins se sont révélés trop difficiles – les divisions de Jacques Desjardin puis d'Étienne Heudelet de Bierre , et enfin la cavalerie d'Antoine Jean Auguste Durosnel vont commencer à installer leurs lignes face au bois d'Isserstedt .
Soult étrille Holtzendorff
Soult, lui, avec les troupes du IVe corps disponibles, soit la division de Louis Vincent Le Blond de Saint-Hilaire et les deux brigades de cavalerie légère d'Etienne Guyot et de Pierre Margaron , vient d'attaquer l'extrême gauche de Tauentzien. Contournant le Landgrafenberg par l'est, il a repoussé vers Krippendorf les Saxons installés dans les bois de Zwätzen et de Closewitz puis a pris position sur une hauteur face à Lehesten .
Il s'y heurte au général Holtzendorff qui a quitté Naumburg au bruit du canon et se dispose à refouler les Français qu'il voit soudain devant lui aux alentours de Rödigen . Le général prussien y parvient dans un premier temps mais subit ensuite l'assaut de Saint-Hilaire qui le contraint à rétrograder.
La cavalerie d'Holtzendorff, censée couvrir cette retraite, cède rapidement face aux charges des hussards de Guyot et des chasseurs de Margaron et se débande. Sa fuite désordonnée porte la confusion dans l'infanterie prussienne. Holtzendorff en est réduit à se retirer en hâte vers Nerkewitz – où Soult cesse de le poursuivre – puis sur Stobra et Apolda quand il voit déboucher devant lui l'avant-garde de Bernadotte.
Le IVe corps, pour sa part, ayant l'ordre de se tenir toujours à la droite de l'armée, se porte ensuite vers Altengönna .
Le front change de direction
A ce moment-là, et sans qu'aucun ordre en ce sens n'ait été donné, l'orientation du front bascule du nord vers l'ouest – et donc la gauche française – à la faveur de la poursuite des troupes de Tauentzien. Dans cette nouvelle position, l'armée impériale a le village et le moulin de Krippendorf face à sa droite, Vierzehnheiligen devant son centre, le bois d'Isserstedt et le village du même nom devant sa gauche et son extrême gauche.
C'est à nouveau la division Suchet qui reprend la première l'offensive. Claparède s'empare rapidement du moulin et du village de Krippendorf et entame l'ascension du plateau qui suit.
Napoléon, qui vient de se porter en première ligne, fait donner l'artillerie de la Garde et envoie à l'assaut de Vierzehnheiligen un des régiments de la brigade Reille. Les quatre bataillons saxons, d'abord refoulés, s'accrochent vaillamment au village même et parviennent à repousser l'assaut. Tauentzien en profite pour contre-attaquer et reprendre Krippendorf et son moulin.
Comme il manque d'informations sur les combats que mêne alors sur ses arrières Soult contre Holtzendorff, affrontement dont il n'entend que le bruit du canon sans savoir si le maréchal a le dessus, Napoléon décide prudemment d'arrêter Lannes avant qu'il ne lance un nouvel assaut sur Vierzehnheiligen.
Il envoie en outre la brigade Vedel en observation dans la direction de Lehesten et ordonne à la division Desjardins, du VIIe Corps, d'accélérer son mouvement. Il est environ 10 heures 30.
Intervention d'Hohenlohe
Peu auparavant, Hohenlohe, le général en chef prussien, parfaitement inerte depuis le début des combats malgré les grondements des tirs d'artillerie qui lui parviennent dans son quartier général de Kapellendorf et les demandes d'ordres de ses généraux, s'est enfin décidé à agir.
Longtemps convaincu que la journée ne verrait se dérouler aucun combat d'envergure, au point de suspendre les mouvements ordonnés par ses subordonnés, il a fini par se rendre à une contrariante évidence en écoutant le rapport du général Grawert. Il écrit alors au général Rüchel, campé près de Weimar, pour lui demander des renforts, ordonne à Tauentzien de se replier sur Kleinromstedt, avance lui-même sur Vierzehnheiligen.
Il en arrive à portée de canon au moment même où Napoléon interrompt son offensive dans l'attente de nouvelles de Soult. Hohenlohe, de même, fait cesser la marche en vue de son objectif. Comme Tauentzien, voyant arriver son chef, évacue le village ainsi qu'il en a reçu l'ordre, le bourg se trouve soudain vide.
De façon assez incompréhensible, Hohenlohe néglige de le faire occuper et préfère l'encadrer avec deux grandes masses de cavalerie, dont l'une munie d'artillerie légère. Pendant quelques instants, la bataille se réduit à des échanges de coups de feu et de boulets autour de Vierzehnheiligen.
Une inspiration de Ney va la ranimer. Il se trouve alors au delà de Lützeroda. Bien que n'ayant toujours avec lui que deux bataillons d'élite et la cavalerie légère de Colbert-Chabanais, il décide de sa propre initiative de venir occuper le terrain entre Vierzehnheiligen et le petit bois de Holschen .
Il s'y heurte violemment aux masses de cavalerie amenées par Hohenlohe. Dragons et cuirassiers prussiens taillent en pièce les hussards français et les repoussent jusque sur les bataillons d'élite. Mais la ferme contenance de ceux-ci, formés en carrés, dissuade l'ennemi de les affronter.
C'est au contraire Ney qui tente une seconde attaque afin de prévenir tout retour offensif de l'ennemi. Ce nouveau mouvement, toujours effectué sans ordre de l'Empereur, irrite probablement celui-ci, qui n'en juge pas moins qu'il lui faut le soutenir.
La brigade de cavalerie d'Anne-François-Charles Trelliard (ou Treilhard) , du Ve Corps, est envoyée à la rescousse de Ney tandis que deux régiments des divisions Suchet et Gazan sont lancés à l'assaut de Vierzehnheiligen.
L'inertie d'Hohenlohe, qui maintient ses troupes plusieurs centaines de mètres en arrière des objectifs visés par cette offensive, offre dans un premier temps de faciles succès aux Français. Ney, appuyés par les régiments du Ve Corps, s'empare sans combat de Vierzehnheiligen, puis se rend maître des bois alentours , traverse celui d'Isserstedt et installe un détachement dans le village du même nom.
Contre-attaque prussienne
Le général en chef prussien décide alors de reprendre ce qu'il n'a rien fait pour conserver. Il avance, fort de 22 bataillons d'infanterie et 38 escadrons de cavalerie, sur un front qui s'étend de Vierzehnheiligen à gauche jusqu'à Isserstedt à droite. La progression se fait avec la régularité et le sang-froid qui ont fait la réputation de l'infanterie prussienne au siècle précédent. Isserstedt est repris, puis les bois.
La droite prussienne déborde Vierzehnheiligen au nord tandis que le centre approche du village. Le commandement prussien se met à rêver de victoire mais ne parvient pas à s'émanciper de ses vieilles habitudes.
Au lieu de jeter brutalement toutes ses forces, fantassins et cavaliers, en un point précis du dispositif adverse et de lui porter ainsi un coup décisif, il arrête ses bataillons à une portée de fusil du village et leur fait exécuter méthodiquement un feu de peloton que le renfort d'une batterie de canon rend plus bruyant mais guère plus efficace.
Les tirailleurs français, bien cachés derrière les haies et les clôtures, subissent sans grandes pertes les tirs d'un ennemi qui lui, au contraire, s'expose comme à l'envi à leur feu. L'artillerie, que l'Empereur a fait amener depuis le Dornberg, aggrave encore le calvaire des troupes prussiennes. Les pertes y sont telles qu'un de leurs régiments, oubliant la discipline, abandonne sa position et doit y être ramené de force par ses officiers.
Pendant que l'infanterie prussienne se laisse ainsi fusiller, les troupes françaises continuent d'arriver sur le champ de bataille, sans que le commandement ennemi n'en ait le moindre soupçon.
Une nouvelle tentative de Lannes au nord de Vierzehnheiligen ayant été repoussée par leur cavalerie, Hohenlohe et son état-major, qui ne voient devant eux que des Français en repli ou, pour ceux retranchés dans le village, commençant à ralentir la cadence de leurs tirs, se croient déjà victorieux.
Mais, à nouveau, le manque d'audace des généraux allemands entrave leurs mouvements. Une charge à la baïonnette sur Vierzehnheiligen, un instant envisagée, est jugée par leur chef, le général Grawert, trop exigeante pour des troupes qu'une longue station sous le feu ennemi a démoralisées et affaiblies.
Contrairement aux préconisations de son chef d'état-major Christian Karl August Ludwig von Massenbach, Hohenlohe se range à cet avis et décide d'attendre l'arrivée des hommes de Rüchel pour lancer une attaque de plus grande envergure.
Napoléon lui aussi, attend. Il ne dispose pour l'heure que d'une trentaine de milliers d'hommes vraiment opérationnels (le Ve Corps de Lannes, les brigades de Pierre Belon Lapisse et de Nicolas François Conroux du VIIe, les bataillons d'élite de Ney, et la Garde à pied) et pense toujours avoir devant lui le gros de l'armée prussienne. Il sait, de surcroît, que la concentration de ses troupes est en cours. L'heure n'est donc pas encore venue de s'engager à fond.
Par conséquent, jusqu'en début d'après-midi, les deux adversaires se contentent de laisser leurs premières lignes en découdre, tout en retardant l'engagement décisif dans l'attente de leurs renforts respectifs.
Offensive française
Or, les renforts des Français sont bien plus proches. Vers une heure et quart, Soult, après avoir repoussé le corps de Holtzendorff au delà de Nerkewitz, est venu se placer au nord de Krippendorf, dans le prolongement de la droite de l'armée impériale. Son arrivée provoque un mouvement général et spontané vers l'avant de toute la première ligne française, de Krippendorf à Isserstedt.
Napoléon, qui vient également d'enregistrer l'arrivée des division de Jean Gabriel Marchand et de Gaspard Amédée Gardanne du IVe Corps, de la division Heudelet du VIIe, de la cavalerie lourde de Klein (dragons) et d'Hautpoul (cuirassiers), juge l'instant décisif et ordonne la charge.
Joachim Murat prend le commandement des cavaliers. Les colonnes d'infanterie se mettent en marche, appuyées par l'artillerie et la cavalerie légère des différents corps.
La ligne prussienne, passablement découragée par presque deux heures d'exposition au feu français, plie face à cette poussée. La division Desjardins et la brigade Vedel prennent Isserstedt et repoussent loin au nord-ouest et à l'ouest les troupes saxo-prussiennes qui leur font face.
Hohenlohe tente de résister à Lannes autour de Vierzehnheiligen mais une partie de ses troupes flanche. Coupé de sa droite, menacé d'être débordé sur sa gauche par Soult, il parvient cependant à faire retraite en bon ordre sur Kleinromstedt ou Tauentzien est est en train de rassembler les restes de son corps d'armée.
Arrivé là, le général en chef prussien y retrouve également la brigade Cerrini et tente, avec ces forces réunies, de tenir cette nouvelle position. Mais ses troupes ne sont plus en état de subir les attaques simultanées de Lannes, d'une division de Soult et de la cavalerie de Murat.
La division Grawert est la première à fléchir puis à se débander. Sa fuite est dans un premier temps protégée par la résistance de Cerrini et Tauentzien mais ceux-ci cèdent à leur tour et l'armée prussienne n'est bientôt plus qu'une foule de fuyards qui se pressent en direction d'Obensdorf et de Grossromstedt.
Arrivée et déroute de Rüchel
Les troupes françaises leur donnent la chasse sans rencontrer de résistance jusqu'au delà de Grossromstedt, dans le vallon de Kapellendorf, où elles se heurtent, sur le Sperlingsberg , à un nouveau contingent prussien qui n'a pas encore été engagé dans la bataille.
Il s'agit du corps de Rüchel qui arrive enfin à la rescousse. Cependant ce dernier, fort de ses 26 bataillons et 28 escadrons (15 000 hommes environ) opte pour l'offensive plutôt que de prendre une position défensive et d'offrir aux restes de son armée un abri derrière lequel se rallier.
Rüchel laisse en réserve un quart de ses effectifs et, aux alentours de 14 heures, marche en avant avec le reliquat, l'infanterie au centre, la cavalerie sur les deux ailes. La manoeuvre semble dans un premier temps réussir.
L'infanterie prussienne, avançant dans un ordre parfait, repousse les tirailleurs de Lannes au delà de Grossromstedt et leur prend même quelques canons ; la cavalerie, sur l'aile gauche, obtient le même succès face à la cavalerie impériale (dragons de la réserve, hussards et chasseurs de Soult) avant de se heurter à la division Saint-Hilaire qui parvient à briser son élan.
Mais le corps de Rüchel se retrouve alors face à l'ensemble des forces françaises. Lannes et une partie du corps de Ney lui font face ; Soult est à sa droite, renforcé par une brigade des dragons de Klein ; à sa gauche se tiennent le reste des forces de Ney, celles d'Augereau, et Murat commandant toute la cavalerie (cavalerie légère des corps de Lannes, Ney et Augereau, 2e brigade des dragons de Klein, et cuirassiers d'Hautpoul).
Le combat s'engage sur toute la ligne. Une demi-heure plus tard, la résistance prussienne est définitivement brisée et les fuyards sont rejetés dans le ravin de Kapellendorf.
Exploitation
La poursuite, implacable, est menée par les divisions Saint-Hilaire, Marchand, Desjardins, Heudelet et la brigade Vedel, appuyées par la cavalerie légère, les dragons de Klein et les cuirassiers d'Hautpoul et cinq pièces d'artillerie à cheval du corps de Lannes.
De toute l'armée prussienne, il ne reste plus en état de combattre que le corps saxon commandé par Hans Gottlob von Zezschwitz, fort de 10 000 hommes. Positionné le matin sur une colline au débouché du Muhlthal, au lieu-dit Schnecke, il n'en a pas bougé depuis. Les circonstances l'ont en effet tenu à l'écart des combats et aucun ordre de battre en retraite ne lui est parvenu. Il se trouve donc coupé des Prussiens.
Napoléon, en apprenant son existence, envoie contre lui les divisions Marchand et Heudelet, ne voulant laisser libre de ses mouvements une troupe en bon état derrière son aile gauche. L'attaque se produit vers 15 heures. Accablés par le nombre de leurs adversaires, assaillis de tous côtés, les Saxons, après une belle résistance, se débandent à leur tour et rejoignent la grande vague des fugitifs qui s'écoule vers l'Ilm.
Arrivé près de Weimar, le prince de Hohenlohe rallie quelques milliers d'hommes avec lesquels il espère protéger la retraite du reste. Mais ce mince cordon de troupes ne résiste qu'un instant à la charge des Français. Le prince est blessé et ses hommes prennent leurs jambes à leur cou dans les rues de la ville. A 16 heures, la bataille est terminée.
Le soir , Lannes est à Umpferstedt, Soult un peu plus au nord, à Ulrichshalben, Murat et Ney à Weimar, Augereau au delà de cette ville.
Les Français ont perdu entre 4 000 et 7 500 hommes, les Prussiens 12 000, dont le général Rüchel blessé et en fuite, auxquels s'ajoutent 15 000 prisonniers, 30 à 40 drapeaux et à peu près toute leur artillerie.
Conséquences de la bataille
Les suites de la bataille ne peuvent être dissociées de celles de la bataille d'Auerstaedt, qui a lieu le même jour et qui voit le corps de Davout détruire celui de Brunswick et par la même le reste de l'armée prussienne.
Ces deux défaites combinées provoquent le découragement total de ce qui reste de troupes prussiennes.
On voit dans les jours qui suivent des forteresses prises par un régiment de hussards. Le 27 octobre suivant, trois semaines après le début de la campagne, Napoléon entre à Berlin par la porte de Brandebourg [Brandenburger Tor] . Le 28, Hohenlohe et les rescapés de son armée se rendent au maréchal Murat. Le 7 novembre, la capitulation de Blücher offre Lübeck aux Français. Le 8, Ney obtient celle de la garnison de Magdebourg (qui n'évacuera la ville que le 11), récupérant 20 000 prisonniers et plusieurs centaines de canons.
Un armistice est signé le 30 novembre, qui ne met pas fin à la guerre. Le roi Frédéric-Guillaume III, qui espère désormais son salut de l'intervention des Russes, devra attendre leur propre défaite pour connaître les conséquences des siennes. Ce sera la perte de la moitié de son territoire, de 5 millions d'habitants et de la quasi totalité de ses places fortes, assortie du paiement d'une indemnité de 120 millions de francs, colossale pour l'époque. Toutes conditions qu'il se verra forcé d'accepter par traité à Tilsitt, le 9 juillet 1807.
A plus long terme, le choc de cette terrible défaite sera l'une des causes lointaines de l'unification allemande. L'humiliation ressentie déclenche à la fois une vague de nationalisme et la prise de conscience de la nécessité d'unifier et de réformer le pays pour éviter qu'elle ne se renouvelle.
Ordre de bataille
- Forces françaises
- Commandant en chef : Empereur Napoléon.
- Chef d'état-major : maréchal Louis-Alexandre Berthier
- Garde Impériale
- Chef d'état-major : général de brigade François-Xavier Roussel
- Infanterie de la Garde : maréchal François-Joseph Lefebvre
- 1re brigade : général de brigade Jérôme Soulès
- 2e brigade : général de brigade Pierre-Augustin Hulin
- 3e brigade : général de division Louis Baraguey d'Hilliers
- Cavalerie de la Garde : maréchal Jean Baptiste Bessières
- 1re brigade : colonel Nicolas Dahlmann
- 2e brigade : général de division Frédéric Henri Walther
- Gendarmerie : général de division Anne Jean Marie René Savary
- Artillerie de la Garde : général de brigade Joseph Couin
- Marins de la Garde
- IVe Corps
- Commandant en chef : maréchal Jean-de-Dieu Soult
- Chef d'état-major : général de brigade Jean Dominique Compans
- Commandant le génie : colonel Marie Théodore Urbain Garbé
- Division du général Louis Vincent Le Blond de Saint-Hilaire
- Brigade du général Jacques Lazare Savettier de Candras
- Brigade du général Louis Prix Varé
- Brigade de cavalerie du général Étienne Guyot
- Brigade de cavalerie du général Pierre Margaron
- Artillerie : général de brigade Jean Ambroise Baston de Lariboisière
- Division Jean François Leval
- Brigade du général Joseph François Ignace Maximilien Schiner
- Brigade du général Claude-François Férey
- Brigade du général Guillaume Raymond Amant Viviès
- Ve Corps
- Commandant en chef : maréchal Jean Lannes
- Chef d'état-major : général de division Claude Victor Perrin
- Commandant le génie : général de brigade François Joseph Kirgener
- Division du général Louis-Gabriel Suchet
- Brigade du général Michel Marie Claparède
- Brigade du général Honoré Charles Reille
- Brigade du général Dominique Honoré Antoine Vedel
- Division du général Honoré Théodore Maxime Gazan
- Brigade du général Jean François Graindorge
- Brigade du général François Frédéric Campana
- Cavalerie : général de brigade Anne-François-Charles Trelliard (ou Treilhard)
- Artillerie : général de brigade Louis Foucher du Careil
- VIe Corps
- Commandant en chef : maréchal Michel Ney
- Chef d'état-major : général de brigade Adrien Jean Baptiste Dutaillis
- Commandant le génie : colonel Louis-Joseph Elisabeth Cazals
- Division du général Jean Gabriel Marchand
- Brigade du général de brigade Eugene-Casimir Villatte
- Brigade du général de brigade François Roguet
- Division du général Gaspard Amédée Gardanne
- Brigade du général de brigade Pierre-Louis Binet de Marcognet
- Brigade du général de brigade Mathieu Delabassée
- Cavalerie du général de brigade Auguste François-Marie de Colbert-Chabanais
- Artillerie : général Louis Foucher du Careil
- VIIe Corps
- Commandant en chef : maréchal Charles Pierre François Augereau
- Chef d'état-major : général de brigade Claude Marie Joseph Pannetier
- Division du général Jacques Desjardins
- Brigade du général Pierre Belon Lapisse
- Brigade du général Nicolas Conroux
- Division du général Étienne Heudelet de Bierre
- Brigade du général François Pierre Joseph Amey
- Brigade du général Jacques Thomas Sarrut
- 3e Brigade
- Cavalerie du général de brigade Antoine Jean Auguste Durosnel
- Artillerie : général Jean Philippe Raymond Dorsner
- Réserve de cavalerie
- Commandant en chef : maréchal Joachim Murat
- Chef d'état-major : général de brigade Augustin Daniel Belliard
- Division de dragons du général Dominique-Louis-Antoine Klein
- Brigade du général Jacques de Fornier, dit Fénerols
- Brigade du colonel Auguste Étienne Lamotte
- Brigade du général Joseph Denis Picard
- Division de dragons du général Marc Antoine Bonin de la Boninière de Beaumont
- Brigade du général Charles Joseph Boyé
- Brigade du général Frédéric Christophe Marizy
- Brigade du général Marie Victor de Faÿ de Latour-Maubourg
- Division de cuirassiers du général Jean-Joseph Ange d'Hautpoul
- Brigade du général Jean Christophe Collin Verdière
- Brigade du général Raymond-Gaspard de Bonardi de Saint-Sulpice
- Brigade de cavalerie légère du général de brigade Antoine Charles Louis de Lassalle
- Forces prussiennes et saxonnes
- Commandant en chef : général d'infanterie Frederick Louis prince de Hohenlohe-Ingelfingen
- Chef d'état-major : colonel Christian Karl August Ludwig von Massenbach
- Avant-garde : division du lieutenant-général Louis Ferdinand de Prusse - (tué à la bataille de Saalfeld)
- Brigade du major général Karl Gerhard von Pelet
- Brigade du major général Christian Ludwig von Schimmelpfenning
- Brigade de cavalerie du major général von Trützschler
- Brigade saxonne du major général Von Bevilaqua.
- Artillerie
- Aile droite : division du lieutenant-général Julius von Grawert
- Brigade du major général Johann Friedrich Wilhelm von Müffling
- Brigade du major général Christian Friedrich von Schimonsky
- Cavalerie du lieutenant-général Friedrich Jacob von Holtzendorff
- Brigade de cavalerie du major général Elias Maximilian von Henckel
- Brigade légère du colonel Von Erichsen
- Aile gauche : division saxonne du général de cavalerie Hans Gottlob von Zezschwitz
- Brigade du major général von Burgsdorff
- Brigade du major général von Dyherrn
- Brigade de cavalerie du lieutenant-général von Kochtitsky
- Brigade légère du lieutenant-général Von Polenz
- Division de réserve du lieutenant-général Wolfgang Moritz von Prittwitz
- Brigade du major général Karl Wilhelm von Sanitz
- Brigade du major général Heinrich von Cerrini di Monte Varchi
- Brigade de cavalerie du major général August Friedrich Erdmann von Krafft
- Corps de réserve du major général Bogislav Friedrich Emanuel von Tauentzien
- Brigade du major général Johann Christian von Zweiffel
- Brigade du major général von Schöneberg
- Brigade légère du major général Rudolph Ernst Christoph von Bila
- Corps de réserve du Hanovre : général d'infanterie Ernst Wilhelm Friedrich Philipp von Rüchel
- Division d'avant-garde du lieutenant-général Christian Ludwig von Winning
- 1ère Brigade
- 2ème Brigade du major général Karl Georg Friedrich von Wobeser
- Corps de bataille : général Karl August, Grand-Duc de Saxe-Weimar-Eisenach
- 1ère Brigade
- 2de Brigade
- 3ème Brigade
- Brigade de cavalerie
- Artillerie
La division suivante n'est arrivée que pour la fin de la bataille :
Les généraux von Winning et Saxe-Weimar étaient absents le jour de la bataille
Carte de la bataille d'Iéna
Tableau - "Napoléon passe en revue la Garde impériale à Iéna". Peint en 1836 par Emile Jean Horace Vernet.
L'Empereur rédigea la proclamation officielle suivante pour annoncer en France les brillants résultats de la campagne :
Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie..
Les forêts, les défiles de là Franconie, la Saale, l'Elbe, nous les avons traversés en sept jours et avons livré dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille ; nous avons fait soixante mille prisonniers, pris soixante cinq drapeaux parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse, six cents pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux : cependant plus de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne jusqu'à l'Oder sont en notre pouvoir
Pour sa part, le philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), alors Privat-docent à l'université d'Iéna, loin de partager le fanatisme anti-français de certains, écrivait ceci au moment où l'Empereur entrait dans sa ville :
Iéna. Le lundi 13 octobre 1806, le jour où Iéna fut occupé par les Français et où l'Empereur Napoléon entra dans ses murs..
[...] J'ai vu l'Empereur - cette âme du monde - sortir de la ville pour aller en reconnaissance; c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine [...] Tous ces progrès n'ont été possibles que grâce à cet homme extraordinaire, qu'il est impossible de ne pas admirer [...] Comme je l'ai déjà fait plus tôt, tous souhaitent bonne chance à l'armée française
Témoignages
Cinquième bulletin de la grande armée
Jéna, 15 octobre 1806.La bataille de Jéna a lavé l'affront de Rosbach et décidé, en sept jours, une campagne qui a entièrement calmé cette frénésie guerrière qui s'était emparée des têtes prussiennes.
Voici la position de l'armée au 13 :
Le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust, avec leurs corps d'armée, étaient à Naumbourg, ayant des partis sur Leipsick et Halle.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo était en marche pour se rendre à Dornbourg.
Le corps du maréchal Lannes arrivait à Iéna.
Le corps du maréchal Augereau était en position à Kala.
Le corps du maréchal Ney était à Roda.
Le quartier-général, à Gera.
L'empereur, en marche pour se rendre à Jéna.
Le corps du maréchal Soult, de Gera était en marche pour prendre une position plus rapprochée, à l'embranchement des routes de Naumbourg et d'Iéna.
Voici la position de l'ennemi :
Le roi de Prusse voulut commencer les hostilités au 9 octobre, en débouchant sur Francfort par sa droite, sur Wurtzbourg par son centre, et sur Bamberg par sa gauche, toutes les divisions de son armée étaient disposées pour exécuter ce plan ; mais l'armée française tournant sur l'extrémité de sa gauche, se trouva en peu de jours à Saalbourg, à Lobenstein, à Schleitz, à Gera, à Naumbourg. L'armée prussienne, tournée employa, les journées des 9, 10, 11 et 12 à rappeler tous ses détachemens, et le 13, elle se présenta en bataille entre Capelsdorf et Auerstaedt, forte de près de cent cinquante mille hommes.
Le 13, à deux heures après-midi, l'empereur arriva à Iéna, et sur un petit plateau qu'occupait notre avant-garde, il aperçut les dispositions de l'ennemi qui paraissait manoeuvrer pour attaquer le lendemain, et forcer les divers débouchés de la Saale. L'ennemi défendait en force, et par une position inexpugnable, la chaussée de Jéna à Weimar, et paraissait penser que les Français ne pourraient déboucher dans la plaine, sans avoir forcé ce passage. Il ne paraissait pas possible en effet de faire monter de l'artillerie sur le plateau, qui d'ailleurs était si petit, que quatre bataillons pouvaient à peine s'y déployer. On fit travailler toute la nuit à un chemin dans le roc, et l'on parvint à conduire l'artillerie sur la hauteur.
Le maréchal Davoust reçut l'ordre de déboucher par Naumbourg pour défendre les défilés de Koesen si l'ennemi voulait marcher sur Naumbourg, ou pour se rendre à Apolda pour le prendre à dos, s'il restait dans la position où il était.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo fut destiné à déboucher de Dornbourg, pour tomber sur les derrières de l'ennemi, soit qu'il se portât en force sur Naumbourg, soit qu'il se portât sur Jéna.
La grosse cavalerie qui n'avait pas encore rejoint l'armée, ne pouvait la rejoindre qu'à midi ; la cavalerie de la garde impériale était à trente-six heures de distance, quelque fortes marches qu'elle eût faites depuis son départ de Paris. Mais il est des momens à la guerre où aucune considération ne doit balancer l'avantage de prévenir l'ennemi et de l'attaquer le premier. L'empereur fit ranger sur le plateau qu'occupait l'avant-garde, que l'ennemi paraissait avoir négligé, et vis-à-vis duquel il était en position, tout le corps du maréchal Lannes ; ce corps d'armée fut rangé par les soins du général Victor, chaque division formant une aile. Le maréchal Lefebvre fit ranger au sommet la garde impériale en bataillon carré. L'empereur bivouaqua au milieu de ses braves. La nuit offrait un spectacle digne d'observation, celui de deux armées dont l'une déployait son front sur six lieues d'étendue, et embrasait de ses feux l'atmosphère, l'autre dont les feux apparens étaient concentrés sur un petit point; et dans l'une et l'autre armée, de l'activité et du mouvement ; les feux des deux armées étaient à une demi-portée de canon ; les sentinelles se touchaient presque, et il ne se faisait pas un mouvement qui ne fut entendu.
Les corps des maréchaux Ney et Soult passaient la nuit en marche. A la pointe du jour, toute l'armée prit les armes. La division Gazan était rangée sur trois lignes, sur la gauche du plateau. La division Suchet formait la droite ; la garde impériale occupait le sommet du monticule ; chacun de ces corps ayant ses canons dans les intervalles. De la ville et des vallées voisines on avait pratiqué des débouchés qui permettaient le déploiement le plus facile aux troupes qui n'avaient pu être placées sur le plateau ; car c'était peut-être la première fois qu'une armée devait passer par un si petit débouché.
Un brouillard épais obscurcissait le jour. L'empereur passa devant plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se tenir en garde contre cette cavalerie prussienne qu'on peignait comme si redoutable. Il les fit souvenir qu'il y avait un an qu'à la même époque ils avaient pris Ulm ; que l'armée prussienne, comme l'armée autrichienne, était aujourd'hui cernée, ayant perdu sa ligne d'opérations, ses magasins; qu'elle ne se battait plus dans ce moment pour la gloire, mais pour sa retraite ; que cherchant à faire une trouée sur différens points, les corps d'armée qui la laisseraient passer, seraient perdus d'honneur et de réputation. A ce discours animé, le soldat répondit par des cris de « marchons ». Les tirailleurs engagèrent l'action, la fusillade devint vive. Quelque bonne que fût la position que l'ennemi occupait, il en fut débusqué, et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença à prendre son ordre de bataille.
De son côté, le gros de l'armée ennemie, qui n'avait eu le projet d'attaquer que lorsque le brouillard serait dissipé, prit les armes. Un corps de cinquante mille hommes de la gauche, se posta pour couvrir les défilés de Naumbourg et s'emparer des débouchés de Koesen ; mais il avait déjà été prévenu par le maréchal Davoust. Les deux autres corps formant une force de 80 000 hommes, se portèrent en avant de l'armée française qui débouchait du plateau de Jéna. Le brouillard couvrit les deux armées pendant deux heures, mais enfin il fut dissipé par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperçurent à petite portée de canon. La gauche de l'armée française, appuyée sur un village et des bois, était commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparait du centre qu'occupait le maréchal Lannes. La droite était formée par le corps du maréchal Soult ; le maréchal Ney n'avait qu'un simple corps de trois mille hommes, seules troupes qui fussent arrivées de son corps d'armée.
L'armée ennemie était nombreuse et montrait une belle cavalerie. Ses manoeuvres étaient exécutées avec précision et rapidité. L'empereur eût désiré retarder de deux heures d'en venir aux mains, afin d'attendre dans la position qu'il venait de prendre après l'attaque du matin, les troupes qui devaient le joindre, et surtout sa cavalerie; mais l'ardeur française l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés, au village de Hollstedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter. Le maréchal Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en échelons pour soutenir ce village. Le maréchal Soult avait attaqué un bois sur la droite; l'ennemi ayant fait un mouvement de sa droite sur notre gauche, le maréchal Augereau fut chargé de le repousser; en moins d'une heure, l'action devint générale; deux cent cinquante ou trois cent mille hommes avec sept ou huit cents pièces de canon, semaient partout la mort, et offraient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De part et d'autre, on manoeuvra constamment comme à une parade. Parmi nos troupes, il n'y eut jamais le moindre désordre, la victoire ne fut pas un moment incertaine. L'empereur eut toujours auprès de lui, indépendamment de la garde impériale, un bon nombre de troupes de réserve pour pouvoir parer à tout accident imprévu.
Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquait depuis deux heures, fit un mouvement en avant. Dans cet instant, on prévint l'empereur que la division de cavalerie française de réserve commençait à se placer, et que deux divisions du corps du maréchal Ney se plaçaient en arrière sur le champ de bataille. On fit alors avancer toutes les troupes qui étaient en réserve sur la première ligne, et qui, se trouvant ainsi appuyées, culbutèrent l'ennemi dans un clin-d'oeil, et le mirent en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure ; mais elle devint un affreux désordre du moment que nos divisions de dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de Berg à leur tête, purent prendre part à l'affaire. Ces braves cavaliers, frémissant de voir la victoire décidée sans eux, se précipitèrent partout où ils rencontrèrent l'ennemi. La cavalerie, l'infanterie prussienne ne purent soutenir leur choc. En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons carrés, cinq de ces bataillons furent enfoncés ; artillerie, cavalerie, infanterie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à Weimar en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi pendant l'espace de six lieues.
A notre droite, le corps du maréchal Davoust faisait des prodiges. Non-seulement il contint, mais mena battant pendant plus de trois lieues, le gros des troupes ennemies qui devait déboucher du côté de Koesen. Ce maréchal a déployé une bravoure distinguée et de la fermeté de caractère, première qualité d'un homme de guerre. Il a été secondé par les généraux Gudin, Friant, Morand, Daultanne, chef de l'état-major, et par la rare intrépidité de son brave corps d'armée.
Les résultats de la bataille sont trente à quarante mille prisonniers ; il en arrive à chaque moment ; vingt-cinq à trente drapeaux, trois cents pièces de canon, des magasins immenses de subsistances. Parmi les prisonniers, se trouvent plus de vingt généraux, dont plusieurs lieutenants-généraux, entr'autres le lieutenant-général Schmettau. Le nombre des morts est immense dans l'armée prussienne. On compte qu'il y a plus de vingt mille tués ou blessés ; le feld-maréchal Mollendorff a été blessé ; le duc de Brunswick a été tué ; le général Rüchel a été tué ; le prince Henri de Prusse grièvement blessé. Au dire des déserteurs, des prisonniers et des parlementaires, le désordre et la consternation sont extrêmes dans les débris de l'armée ennemie.
De notre côté, nous n'avons à regretter parmi les généraux que la perte du général de brigade de Billy, excellent soldat; parmi les blessés, le général de brigade Conroux. Parmi les colonels morts, les colonels Vergès, du douzième régiment d'infanterie de ligne ; Lamotte, du trente-sixième ; Barbenègre, du neuvième de hussards ; Marigny, du vingtième de chasseurs ; Harispe, du seizième d'infanterie légère ; Dulembourg, du premier de dragons ; Nicolas, du soixante-unième de ligne ; Viala, du quatre-vingt-unième ; Higonet, du cent-huitième.
Les hussards et les chasseurs ont montré dans cette journée une audace digne des plus grands éloges. La cavalerie prussienne n'a jamais tenu devant eux ; et toutes les charges qu'ils ont faites devant l'infanterie, ont été heureuses.
Nous ne parlons pas de l'infanterie française ; il est reconnu depuis long-temps que c'est la meilleure infanterie du monde. L'Empereur a déclaré que la cavalerie française, après l'expérience des deux campagnes et de cette dernière bataille, n'avait pas d'égale.
L'armée prussienne a dans cette bataille perdu toute retraite et toute sa ligne d'opérations. Sa gauche, poursuivie par le maréchal Davoust, opéra sa retraite sur Weimar, dans le temps que sa droite et son centre se retiraient de Weimar sur Naumbourg. La confusion fut donc extrême. Le roi a dû se retirer à travers les champs, à la tête de son régiment de cavalerie.
Notre perte est évaluée à mille ou douze cents tués et à trois mille blessés. Le grand-duc de Berg investit en ce moment la place d'Erfurth, où se trouve un corps d'ennemis que commandent le maréchal de Mollendorff et le prince d'Orange.
L'état-major s'occupe d'une relation officielle, qui fera connaître dans tous ses détails cette bataille et les services rendus par les différens corps d'armée et régimens. Si cela peut ajouter quelque chose aux titres qu'a l'armée à l'estime et à la considération de la nation, rien ne pourra ajouter au sentiment d'attendrissement qu'ont éprouvé ceux qui ont été témoins de l'enthousiasme et de l'amour qu'elle témoignait à l'Empereur au plus fort du combat. S'il y avait un moment d'hésitation, le seul cri de vive l'Empereur! ranimait les courages et retrempait toutes les ames. Au fort de la mêlée, l'Empereur voyant ses ailes menacées par la cavalerie, se portait au galop pour ordonner des manoeuvres et des changemens de front en carrés; il était interrompu à chaque instant par des cris de « vive l'Empereur! » La garde impériale à pied voyait avec un dépit qu'elle ne pouvait dissimuler, tout le monde aux mains et elle dans l'inaction. Plusieurs voix firent entendre les mots « en avant » ? « Qu'est-ce ? dit l'Empereur ; ce ne peut être qu'un jeune homme qui n'a pas de barbe qui peut vouloir préjuger ce que je dois faire ; qu'il attende qu'il ait commandé dans trente batailles rangées, avant de prétendre me donner des avis. » C'étaient effectivement des vélites, dont le jeune courage était impatient de se signaler.
Dans une mêlée aussi chaude, pendant que l'ennemi perdait presque tous ses généraux, on doit remercier cette Providence qui gardait notre armée. Aucun homme de marque n'a été tué ni blessé. Le maréchal Lannes a eu un biscaïen qui lui a rasé le poitrine sans le blesser. Le maréchal Davoust a eu son chapeau emporté et un grand nombre de balles dans ses habits. L'empereur a toujours été entouré, partout où il a paru, du prince de Neufchâtel, du maréchal Bessières, du grand maréchal du palais, Duroc, du grand-écuyer Caulincourt, et de ses aides-de-camp et écuyers de service. Une partie de l'armée n'a pas donné, ou est encore sans avoir tiré un coup de fusil.
Crédit photos
Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Marie-Albe Grau.
Photos par Floriane Grau.
Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
Photos par Didier Grau.
Photos par des personnes extérieures à l'association Napoléon & Empire.
Nous remercions chaleureusement Mme Christiane Deshaies-Da Luz, qui nous a grâcieusement fourni plusieurs de ses photos de ce champ de bataille.