Date et lieu
- 14 juin 1807 à Friedland in Ostpreußen [de nos jours Pravdinsk, province de Kaliningrad, en Russie], à trente kilomètres à l'est d'Eylau.
Forces en présence
- Grande Armée (66 000 hommes) sous le commandement du maréchal Jean Lannes, puis de l'Empereur Napoléon 1er.
- Armée russe (84 000 hommes) commandée par le général Levin August Gottlieb Theophil (Leonty Leontyevich), comte von Bennigsen.
Pertes
- Grande Armée : 1 645 morts, 8 995 blessés, 2 426 prisonniers, 400 disparus.
- Armée russe : autour de 15 000 morts ou blessés, 10 000 prisonniers, 80 canons, 70 drapeaux.
La bataille de Friedland est une des plus brillantes et des plus décisives victoires napoléoniennes, obtenue en outre à la date anniversaire de Marengo. Elle met fin à la quatrième coalition et débouche sur le traité de Tilsitt et l'alliance Franco-Russe.
La situation générale
Le 26 mai 1807, près de quatre mois après la bataille d'Eylau, alors que l'été continental s'est installé sur les bords de la mer Baltique , la Grande Armée se remet en marche.
Napoléon 1er la dirige vers Königsberg [aujourd'hui Kaliningrad - Калининград], que le général en chef russe Levin August Gottlieb Theophil, comte von Bennigsen (Леонтий Леонтьевич Беннигсен) décide de défendre.
C'est que les nombreux dépôts et magasins qui s'y trouvent sont d'une importance vitale pour le ravitaillement de ses troupes. Résolus à protéger la ville, les Russes prennent l'offensive.
Les préliminaires
Après quelques opérations de peu de portée, un premier engagement d'importance a lieu à Heilsberg [Lidzbark Warminski, actuelle Pologne] le 10 juin 1807. Jean-de-Dieu Soult et Joachim Murat, bientôt soutenus par Jean Lannes, y attaquent, avec 50 000 hommes, près de 100 000 Russes solidement retranchés. Le combat est vif et meurtrier. 10 000 Français y sont mis hors de combat sans que les Russes ne soient culbutés.
Mais dès le lendemain, le général Bennigsen, craignant pour ses communications, décide d'évacuer le camp retranché et fait passer ses troupes sur la rive droite de la rivière Alle [Lava - Лава] , le long de laquelle il s'avance en direction de Friedland .
Son intention est de retraverser la rivière sur le pont [54.44497, 21.02248] qui s'y trouve puis de marcher sur Königsberg.
Un fort détachement d'avant-garde, chargé de s'assurer du passage, franchit la rivière le 13 juin. Le 14, au point du jour, le gros de l'armée russe le rejoint et se heurte au maréchal Lannes, qui débouche dans la plaine de Friedland . Bennigsen, conscient de son arrivée imminente, n'a pas cru devoir s'en inquiéter. Il n'imagine pas que le reste de l'armée française puisse être tout proche et entend même profiter de l'occasion pour détruire un corps d'armée isolé.
Mais les choses ne se passent pas exactement ainsi. Incapable de disputer la plaine aux Russes, Lannes parvient du moins à s'accrocher au village de Postehnen [Peredovoje - Передовое] (parfois orthographié Posthenen) [54.43816, 20.96585] et aux bois environnants .
Bientôt arrivent le corps du maréchal Adolphe Édouard Casimir Joseph Mortier puis les dragons du général Emmanuel de Grouchy et les cuirassiers d'Etienne Marie Antoine Champion de Nansouty ), tous envoyés par Napoléon avec pour mission de contenir les Russes afin de donner au reste de l'armée le temps d'arriver. Ils s'y emploient avec brio.
La garde impériale, avec Napoléon lui-même, est sur place vers une heure de l'après-midi. Le corps du maréchal Michel Ney se présente deux heures plus tard et vers cinq heures arrive le général Victor. Ce sont finalement les deux armées au complet qui se font face.
Position des troupes
Les Français
Ils sont disposés comme suit :
- Ney tient la droite, appuyé par les dragons de Victor de Faÿ de Latour-Maubourg
- Lannes est positionné au centre, avec Nansouty en soutien
- Mortier occupe l'aile gauche
- La réserve est formée de la garde impériale et du Ier corps commandé par Victor (Jean-Baptiste Jules Bernadotte, blessé, lui en ayant laissé le commandement).
Les Russes
La position des Russes est précaire. Ils se sont aventurés sur un petit plateau entouré par un méandre de l'Alle qui ne s'ouvre sur la plaine que du côté où leur font face les Français. La rivière est donc derrière eux.
Les combats
A cinq heures, la bataille s'engage. Ney attaque le premier. Exécutant à la lettre le plan de bataille de Napoléon, il marche droit sur Friedland , abandonnant à Latour-Maubourg le soin de repousser la grande charge de cavalerie que les Russes exécutent contre son flanc droit.
Le terrain que Ney laisse libre est aussitôt occupé par la réserve de Victor. L'artillerie de ce dernier, commandée par le général Alexandre-Antoine Hureau de Sénarmont , installe ses trente pièces de canon au centre de la plaine et appuie avec force l'offensive de Ney.
Les carrés russes sont mis en pièces, enfoncés et culbutés dans l'Alle ou repoussés vers Friedland.
Arrivé devant la ville, Ney doit subir le choc de la garde impériale russe à pied et à cheval. Un moment ébranlé, il est secouru par la division du général Pierre Dupont de l'Etang et reprend sa progression. Bientôt, on se bat à l'entrée de Friedland, dans les rues , dans les maisons même.
Pendant ce temps, Napoléon envoie Mortier et Lannes attaquer l'aile droite russe, soit quatre divisions, sous le commandement du général Andreï Ivanovitch Gortchakov (Андрей Иванович Горчавов) , tout en leur ordonnant de modérer leur ardeur habituelle. Il ne s'agit en effet, par cette manoeuvre, que de donner à Ney le temps, après s'être rendu maître de Friedland et de ses ponts, d'envelopper les derrières de cette aile droite et de lui couper la retraite.
S'apercevant du piège, Gortschakov jette deux divisions dans Friedland. Trop tard. Ney les détruit. Les deux autres tentent de se retirer en bon ordre. Les grenadiers de Nicolas Charles Oudinot, les fusiliers de la garde, sous le commandement d'Anne-Jean-Marie-René Savary, et les troupes de Mortier les coupent de la ville et les acculent à la rivière.
Un grand nombre de Russes périt dans la mêlée ; une bonne partie du reste en se jetant dans l'Alle ; aucune unité n'envisage de capituler.
Bilan
Les pertes Russes s'élèvent à 10 000 morts, 15 000 blessés, 10 000 prisonniers. Quatre-vingts pièces de canon, un grand nombre de caissons d'artillerie et plusieurs drapeaux sont tombés aux mains des Français.
Ceux-ci ne comptent que 1 500 hommes tués et 4 000 blessés.
La nuit suivante, l'Empereur bivouaque sur le champ de bataille, au milieu de sa garde et de toute l'armée française.
Carte de la bataille de Friedland
Tableau - "Bataille de Friedland, le 14 juin 1807". Peint en 1835 ou 1836 par Emile Jean Horace Vernet.
Témoignages
A Wehlau, le 17 juin 1807.
Les combats de Spanden, de Lomitten, les journées de Guttstadt et de Heilsberg n'étaient que le prélude de plus grands événements.
Le 12, à quatre heures du matin, l'armée française entra à Heilsberg. Le général Latour-Maubourg avec sa division de dragons et les brigades de cavalerie légère des généraux Durosnel et Pierre Wattier poursuivirent l'ennemi sur la rive droite de l'Alle, dans la direction de Bartenstein, pendant que les corps d'armée se mettaient en marche, dans différentes directions, pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite sur Königsberg, en arrivant avant lui sur ses magasins. La fortune a souri à ce projet.
Le 12, à cinq heures après-midi, l'Empereur porta son quartier-général à Eylau. Ce n'étaient plus ces champs couverts de glaces et de neige ; c'était le plus beau pays de la la nature, coupé de beaux bois, de beaux lacs, et peuplé de jolis villages.
Le grand-duc de Berg se porta, le 13, sur Königsberg avec sa cavalerie ; le maréchal Davoust marcha derrière pour le soutenir ; le maréchal Soult se porta sur Creutzbourg ; le maréchal Lannes, surDomnau ; les maréchaux Ney et Mortier, sur Lampasch.
Cependant le général Latour-Maubourg écrivait qu'il avait poursuivi l'arrière-garde ennemie ; que les Russes abandonnaient beaucoup de blessés ; qu'ils avaient évacué Bartenstein, et continuaient leur retraite sur Schippenbeil, par la rive droite de l'Alle. L'Empereur se mit sur-le-champ en marche sur Friedland. Il donna ordre au grand-duc de Berg, aux maréchaux Soult et Davoust de manoeuvrer sur Königsberg, et avec les corps des maréchaux Ney, Lannes, Mortier, avec la garde impériale et le premier corps commandé par le général Victor, il marcha en personne sur Friedland.
Le 13, le 9e de hussards entra à Friedland ; mais il en fut chassé par trois mille hommes de cavalerie.
Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. A trois heures du matin des coups de canon se firent entendre. « C'est un jour de bonheur, dit l'Empereur, c'est l'anniversaire de Marengo.»
Les maréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés ; ils étaient soutenus par la division de dragons du général Grouchy, et par les cuirassiers du général Nansouty. Différens mouvemens, différentes actions eurent lieu. L'ennemi fut contenu, et ne put pas dépasser le village de Posthenem. Croyant qu'il n'avait devant lui qu'un corps de quinze mille hommes, l'ennemi continua son mouvement pour filer sur Königsberg. Dans cette occasion, les dragons et les cuirassiers français et saxons firent les plus belles charges, et prirent quatre pièces de canon à l'ennemi.
A cinq heures du soir, les différens corps d'armée étaient à leur place. A la droite, le maréchal Ney ; au centre, le maréchal Lannes ; à la gauche, le maréchal Mortier, à la réserve, le corps du général Victor et la garde.
La cavalerie, sous les ordres du général Grouchy, soutenait la gauche. La division de dragons du général Latour-Maubourg était en réserve derrière la droite, la division de dragons du général Lahoussaye et les cuirassiers saxons élaient en réserve derrière le centre.
Cependant l'ennemi avait déployé toute son armée. II appuyait sa gauche à la ville de Friedland, et sa droite se prolongeait à une lieue et demie.
L'Empereur, après avoir reconnu la position, décida d'enlever sur-le-champ la ville de Friedland, en faisant brusquement un changement de front, la droite en avant, et fit commencer l'attaque par l'extrémité de sa droite.
A cinq heures et demie, le maréchal Ney se mit en mouvement ; quelques salves d'une batterie de vingt pièces de canon furent le signal. Au même moment, la division du général Marchand avança, l'arme au bras, sur l'ennemi, prenant sa direction sur le clocher de la ville. La division du général Bisson le soutenait sur la gauche. Du moment où l'ennemi s'apperçut que le maréchal Ney avait quitté le bois où sa droite était d'abord en position, il le fit déborder par des régimens de cavalerie, précédés d'une nuée de Cosaques. La division de dragons du général Latour-Maubourg , se forma sur-le-champ au galop sur la droite, et repoussa 1a charge ennemie. Cependant le général Victor fit placer une batterie de trente pièces de canon en avant de son centre ; le général Sennarmont qui la commandait, se porta à plus de quatre cents pas en avant, et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi. Les différentes démonstrations que les Russes voulurent faire pour opérer une diversion, furent inutiles. Le maréchal Ney, avec un sang-froid et avec cette intrépidilé qui lui est particulière, était en avant de ses échelons, dirigeait lui-même les plus petits détails, et donnait l'exemple à un corps d'armée, qui toujours s'est fait distinguer, même parmi les corps de la Grande-Armée. Plusieurs colonnes d'infanterie ennemie, qui attaquaient la droite du maréchal Ney, furent chargées à la bayonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs milliers d'hommes y trouvèrent la mort ; quelques-uns échappèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi qui y avait embusqué la garde impériale russe à pied et à cheval, déboucha avec intrépidité et fit une charge sur la gauche du maréchal Ney, qui fut un moment ébranlée ; mais la division Dupont, qui formait la droile de la réserve, marcha sur la garde impériale, la culbuta et en fit un horrible carnage.
L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps pour défendre Friedland. Vains efforts ! Friedland fut forcé et ses rues furent jonchées de morts.
Le centre que commandait le maréchal Lannes se trouva dans ce moment engagé. L'effort que l'ennemi avait fait sur l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué, il voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut reçu comme on devait l'attendre, des braves divisions Oudinot et Verdier, et du maréchal qui les commandait.
Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas retarder la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la bravoure des Russes furent inutiles ; ils ne purent rien entamer, et vinrent trouver la mort sur nos bayonnettes.
Le maréchal Mortier, qui pendant toute la journée fît grande preuve de sang-froid et d'intrépidité en maintenant la gauche, marcha alors en avant, et fut soutenu par les fusiliers de la garde que commandait le général Savary. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout le monde s'est distingué.
La garde impériale à pied et à cheval, et deux divisions de la réserve du 1er corps n'ont pas été engagées. La victoire n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille est un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer que de porter le nombre des morts, du côté des Russes, de quinze à dix-huit mille hommes : du côté des Français la perte ne se monte pas à cinq cents morts, ni à plus de trois mille blessés. Nous avons pris quatre-vingt pièces de canon et une grande quantité de caissons. Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir. Les Russes ont eu vingt-cinq généraux tués, pris ou blessés. Leur cavalerie a fait des pertes immenses.
Les carabiniers et les cuirassiers, commandés par le général Nansouty, et les différentes divisions de dragons se sont fait remarquer. Le général Grouchy, qui commandait la cavalerie de l'aile gauche, a rendu des services importans.
Le général Drouet, chef de l'état-major du corps d'armée du maréchal Lannes ; le général Cohorn ; le colonel Regnaud , du 15e de ligne ; le colonel Lajonquière, du 60e de ligne ; le colonel Lamotte, du 4e de dragons ; et le général de brigade Brun ont été blessés. Le genéral de division Latour-Maubourg l'a été à la main. Le colonel d'artillerie Desfouineaux, et le chef d'escadron Hutin, premier aide-de-camp du général Oudinot, ont été tués. Les aides-de-camp de l'Empereur, Mouton et Lacoste, ont été légèrement blessés.
La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi : on l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit, les colonnes qui avaient été coupées ont essayé de passer l'Alle, à plusieurs gués. Partout, le lendemain et à plusieurs lieues nous avons trouvé des caissons, des canons et des voitures perdues dans la rivière.
La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles de Marengo, d'Austerlitz, et d'Iéna. L'ennemi était nombreux, avait une belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.
Le lendemain 15, pendant que l'ennemi essayait de se rallier, et faisait sa retraite sur la rive droite de l'Alle, l'armée française continuait, sur la rive gauche, ses manoeuvres pour le couper de Königsberg.
Les tètes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau, ville située au confluent de l'Alle et de la Pregel.
L'Empereur avait son quartier-général au village de Paterswalde.
Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les ponts, mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement rétrograde sur la Russie.
A huit heures du matin l'Empereur fît jetter un pont sur la Pregel, et l'armée s'y mit en position.
Presque tous les magasins que l'ennemi avait sur l'Alle ont élé par lui jettés à l'eau ou brûlés. Par ce qui nous reste on peut connaître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans les villages les Russes avaient des magasins, et partout en passant ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
A la nouvelle de la victoire de Friedland, Königsberg a été abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place, où nous avons trouvé des richesses immenses, plusieurs centaines de milliers de quintaux de blé, plus de vingt mille blessés russes et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de guerre à la Russie, entre autres cent soixante mille fusils encore embarqués. Ainsi la Providence a puni ceux qui, au lieu de négocier de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la paix , s'en sont fait un jeu, prenant pour faiblesse et pour impuissance la tranquillité du vainqueur.
L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de la Pregel sont riches. Dans peu les magasins et les caves de Dantzick et de Königsberg vont nous apporter de nouveaux moyens d'abondance et de santé.
Les noms des braves qui se sont distingués, les détails de ce que chaque corps a fait, passent les bornes d'un simple bulletin, et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.
Le prince de Neufchâtel a, dans la bataille de Friedland, donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens. Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mélée, et y a fait des dispositions utiles.
L'ennemi avait recommencé les hostilités le 5 : on peut évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours, et par suite de ces opérations, à soixante mille hommes pris, blessés, tués ou hors de combat. Il a perdu une partie de son artillerie, presque toutes ses munitions et tous ses magasins sur une ligne de plus de quarante lieues.
Les armées françaises ont rarement obtenu de si grands succès avec moins de perte.
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Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Marie-Albe Grau.
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Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
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