Date et lieu
- 25 juillet 1799 sur la presqu'île d'Aboukir (ou Abu Qir), sur la côte méditerranéenne de l'Égypte, à vingt-trois kilomètres au nord-est d'Alexandrie.
Forces en présence
- Armée française (environ 11 000 hommes) sous le commandement du général Napoléon Bonaparte.
- Armée ottomane (environ 18 000 hommes) sous les ordres de Mustapha Pacha.
Pertes
- Armée française : 100 à 150 tués, 500 à 700 blessés.
- Armée ottomane : 2 000 tués ou blessés, une dizaine de milliers de noyés, 3 000 prisonniers.
La bataille d'Aboukir est la dernière livrée par Napoléon Bonaparte au cours de l'expédition d'Égypte. Elle se termine par l'anéantissement du contingent Ottoman débarqué sur les côtes méditerranénnes du pays par la marine anglaise. Napoléon Bonaparte rentrera en France un mois plus tard.
Situation générale avant la bataille
Depuis son retour de l'expédition de Syrie [qui correspond actuellement à l'état d'Israël], laquelle prend fin le 1er juin 1799, Napoléon Bonaparte se prépare à l'arrivée des troupes ottomanes en tentant de consolider ses finances, son autorité sur la population, et son armée.
Des 36 000 hommes débarqués avec lui un an plus tôt, il ne lui en reste plus que 18 000 en état de combattre, encore sont-ils mal équipés et pauvres en munitions. Faute de pouvoir espérer l'arrivée de renforts venus de France, il recrute des troupes indigènes : Mameluks prêts à changer de camp, Grecs, Druzes, Coptes, et même quelques milliers d'esclaves noirs que Desaix est chargé d'acheter. Ces soldats, dont l'instruction est insuffisante et la motivation sujette à caution, ne servent qu'au maintien de l'ordre.
Car Bonaparte n'a pas oublié la révolte du Caire du 21 octobre 1798. S'il a pu laisser derrière lui une garnison de 10 000 hommes lors de l'expédition de Syrie, il n'en ira pas de même cette fois. Pour assurer ses arrières lorsqu'il devra aller à la rencontre de l'ennemi, il décide donc d'avoir recours à la méthode qu'utilisaient avant lui les Mamelouks : inspirer la crainte.
Des suspects de sympathie pro-ottomanes sont arrêtés et exécutés, fusillés pour les premiers, décapités pour les suivants afin d'économiser les munitions ; des prostituées qui encombrent les camps sont noyées dans le Nil. Cette politique atteindra son but : Bonaparte parti, nul ne bougera.
Côté finances, en revanche, malgré amendes et emprunts forcés, l'argent rentre moins vite qu'espéré dans les caisses. Cette relative pauvreté nuit aux intérêts français.
Préliminaires
Le 14 juillet 1799, la nouvelle de l'arrivée en rade d'Aboukir [أبو قير] [31.32415, 30.07265] d'une flotte anglo-turque venue de Rhodes [Ρόδος] atteint Bonaparte près du Caire [القاهرة]. Il apprend bientôt que treize vaisseaux de ligne, neuf frégates, dix-sept chaloupes-canonnières et soixante quatorze bâtiments de transports, le tout commandé par le Commodore Sidney Smith , se sont présentés le 12 devant le port et le village qui sont rapidement tombés entre les mains de vingt-mille Turcs débarqués sous la protection de l'artillerie anglaise.
Les vainqueurs s'installent dans la presqu'île d'Aboukir pour y attendre la cavalerie que doit leur amener Mourad Bey (مراد بك) , principal chef des Mamelouks.
Napoléon Bonaparte, lui, se met aussitôt en action pour ne pas laisser à l'ennemi le temps de s'affermir. Il rassemble les troupes dont il peut disposer : les divisions de Jean Lannes et Antoine-Guillaume Rampon, la cavalerie de Joachim Murat, une partie de celle de Louis Charles Antoine Desaix, dont Louis-Nicolas Davout. Cette petite armée (moins de 7 000 hommes) prend vivement la route de Ramanieh [Rahmaniyyah - الرحمانية] où elle arrive le 19.
Le 22 juillet, Bonaparte est à Birket [Birkat Ghattas - بركه غطاس], d'où il peut facilement se porter sur Alexandrie [الإسكندرية], Aboukir à 22 kilomètres au nord-est de celle-ci, ou Rosette [Rashid - رشيد], 50 kilomètres encore plus à l'est, selon ce que les circonstances commanderont. De plus, cette position entrave les communications des Turcs débarqués avec le reste du pays, et les coupe des renforts qu'ils attendent par voie de terre.
Simultanément, ordre a été envoyé à Jean-Baptiste Kléber et Jean-Louis Ebénézer Reynier , alors dans le delta du Nil [نهر النيل], de se rapprocher d'Aboukir. Desaix, lui, est chargé d'évacuer la Haute-Egypte, en y laissant des garnisons dans les forts et Louis Friant à la poursuite de Mourad Bey, et de venir surveiller la situation au Caire pendant l'expédition contre le débarquement turc.
Après avoir consulté les plans du fort et de la rade, et s'être mis au courant de la position occupée par les navires de guerre, Bonaparte décide d'abord d'immobiliser l'ennemi en attendant l'arrivée de Kléber. Mais ses observations in situ le font vite changer de plan. En premier lieu, il est rapidement établi que les Anglais n'ont pas débarqué de troupes en nombre mais se sont contentés d'envoyer quelques conseillers auprès des Turcs. D'autre part, la position sur laquelle ceux-ci se sont établis lui paraît vulnérable.
Le dispositif turc
Une première ligne, trop étirée, s'étend deux kilomètres en avant du village d'Aboukir, de la mer au lac Madieh [asséché depuis]. Chacune des extrémités s'appuie à une dune (montagne du Cheik à l'ouest, montagne du Puits à l'est) défendue par un millier d'hommes environ ; deux mille autres occupent le centre.
En arrière se trouve un hameau fortifié puis une seconde ligne, concentrant le gros des forces ottomanes, tient la redoute bâtie par les Français en travers de la presqu'île. Ses défenses, laissées jusque-là incomplètes par les Français malgré les ordres, ont été prolongées de chaque côté jusqu'à la mer par les Turcs.
Vient ensuite le village d'Aboukir proprement dit [31.32398, 30.06413] où Mustapha Pacha (Seid Mustafa Pasha - سيد مصطفى باشا) , le général en chef turc, a installé ses réserves et son quartier-général. Des canonnières sont en position pour appuyer de leur feu l'infanterie. Les vaisseaux anglais, eux, du fait de leur tirant d'eau, sont mouillés dans la rade à six kilomètres de là et ne peuvent intervenir.
Le dispositif français
Bonaparte passe à l'attaque en disposant ses troupes de la façon suivante :
- Joachim Murat et Jacques Zacharie Destaing sont à l'avant-garde avec 2 300 hommes ;
- Jean Lannes à droite avec 2 700 ;
- François Lanusse à gauche avec 2 400 ;
- Louis-Nicolas Davout, à la tête de 300 cavaliers et 100 dromadaires, garde au sud-ouest les lignes de communication avec Alexandrie et est chargé d'empêcher l'intervention de Mourad Bey s'il se présente ;
- Ces différents corps se partagent une quinzaine de canons ;
- La réserve est constituée par la division Kléber dont l'arrivée est prévue dans la journée.
Les combats
Destaing à gauche et Lannes à droite sont chacun chargés d'attaquer la dune qui leur fait face à l'extrémité de la première ligne ennemie. Murat, avec ses cavaliers, doit la franchir et tomber sur ses arrières. Ce plan est suivi à la lettre et les Turcs, cernés, n'ont d'autre choix que de se jeter à la mer, harcelés par les hussards et les dragons français. Lannes et Destaing se rabattent alors au centre, sur le hameau fortifié qui fait saillie en avant de la seconde ligne de défense. Les Turcs résistent vaillamment en attendant des renforts mais la colonne qui est envoyée à leur secours est surprise par Murat qui la repousse.
Bonaparte a réussi à enfermer l'armée turque dans Aboukir. La rapidité de la victoire le pousse à exploiter immédiatement son avantage sans attendre des renforts comme prévu initialement. Il laisse reposer les troupes de Lannes et de Destaing et marche sur la seconde ligne ennemie avec celles du général Lanusse, restées jusque-là en réserve. Il a vu un point faible à la gauche du dispositif ottoman où la côte forme à l'est d'Aboukir un promontoire. Il y fait placer une batterie d'artillerie qui écrase les Turcs sous une pluie de boulets.
En décrochant pour se chercher un abri, ceux-ci ouvrent une brèche de quatre-cents mètres dans leur défense. Murat et ses cavaliers s'y engouffrent aussitôt. Hussards et dragons, suivis par l'infanterie de Lannes, se ruent sur les retranchements. Leurs défenseurs, après une vaillamte résistance, sont sur le point de céder quand les Français, pris à leur tour sous un violent feu d'artillerie, doivent se retirer avant d'avoir pu exploiter leur avantage.
Bonaparte réorganise ses troupes et attend l'occasion de relancer une attaque. Elle lui est rapidement fournie. Les Ottomans, fidèles à leurs traditions, sortent bientôt de la redoute pour couper la tête des morts afin de s'en faire des trophées. Deux bataillons français sont envoyés interrompre cette sinistre besogne. Murat et ses cavaliers les suivent.
Galvanisés par l'indignation qu'ils ressentent à l'idée du traitement que subissent les corps de leurs camarades tombés au combat, les Français marchent sur la redoute, l'enlèvent et, dans leur élan, parviennent jusque dans le camp du pacha ennemi, Mustapha.
Celui-ci blesse Murat au visage, qui réplique en lui tranchant quelques doigts (deux ou trois selon les sources) d'un coup de sabre et le fait prisonnier en le menaçant : Si tu refais ça à mes soldats, je te jure, par Allah, que je te couperai d'autres choses plus importantes
.
Privés de leur chef, les "osmanlis" sombrent dans la panique. Ils se précipitent vers la mer pour tenter de remonter à bord de leurs bateaux. La plupart de ceux qui ne sont pas sabrés au passage se noient. Le commodore anglais Sidney Smith, débarqué comme "conseiller", manque lui-même de se faire prendre.
Bilan
L'armée débarquée est détruite. Elle a perdu cent drapeaux, trente-deux pièces d'artillerie, quatre cents chevaux et tous ses bagages. Quatre mille Turcs à peine échappent au désastre et s'enferment dans le fort. La victoire est totale.
Bonaparte repart aussitôt pour Le Caire en laissant à Jacques-François de Menou le soin d'achever la besogne, ce qui prendra encore quelques jours, le temps que la faim et la soif fassent leur oeuvre. Les survivants se rendent le 2 août.
En écrivant, de l'armée débarquée, pas un homme n'a échappé
, Bonaparte n'est pas loin de la vérité. Les Français, pour leur part, déplorent une centaine de tués et 500 blessés.
Paradoxalement, cette victoire est à l'origine du départ de Bonaparte. C'est en effet au cours des négociations qui la suivent que les Anglais lui font astucieusement parvenir un choix de journaux qui lui révèlent la situation militaire catastrophique dans laquelle se trouvait la France au printemps. Après une nuit de lecture fiévreuse, le général en chef prend sa décision : il rentre en France.
Carte de la bataille d'Aboukir
Tableau - "Bataille d'Aboukir, 25 juillet 1799". Peint en 1806 par Antoine-Jean Gros.
Jean-Baptiste Kléber, qui arrive trop tard pour le combat, n'en croit pas ses yeux en visitant le champ de bataille et revient dire à Bonaparte, au sujet duquel il s'est pourtant souvent montré critique : Général, permettez que je vous embrasse, vous êtes grand comme le monde
.
Joachim Murat est promu général de division au soir de la victoire.
Crédit photos
Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Marie-Albe Grau.
Photos par Floriane Grau.
Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
Photos par Didier Grau.
Photos par des personnes extérieures à l'association Napoléon & Empire.