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Napoléon & Empire

Friedrich Staps

Friedrich Staps (1792-1809)

Jusqu'à sa tentative d'assassinat sur Napoléon 1er, Friedrich Staps (ou Stapß) est un jeune homme sans histoire. Né le 14 mars 1792 à Naumbourg (Saxe), fils de pasteur, il est employé comme stagiaire dans une maison de commerce d'Erfurt. Il y mène une vie tranquille, occupant ses soirées à lire Friedrich Schiller et ses dimanches à se promener avec une amie.

Pourtant, le 25 septembre 1809, il écrit à ses parents : Je pars pour exécuter ce que Dieu m'a ordonné d'accomplir ; et il quitte Erfurt pour Vienne. Le 4 octobre, il est dans la capitale autrichienne ; il s'y procure un couteau de cuisine puis gagne Schoenbrunn  .

Il a un plan : approcher Napoléon sous prétexte de lui remettre une pétition et le tuer d'un coup de couteau. Justement, ce jour-là, l'Empereur assiste à une parade. Ce doit être l'occasion.

Hélas pour Staps, il arrive trop tard. Mais il ne se décourage pas. Une autre parade doit avoir lieu huit jours plus tard : il attend.

Le 13 octobre 1809 (le 12 selon Jean Tulard), il est à l'heure. Napoléon observe le défilé entre Michel Ney et Jean Rapp. Staps s'avance, jouant son rôle de pétitionnaire. Le maréchal Berthier, présent lui aussi, demande au jeune homme de remettre son papier mais Staps insiste pour parler à Napoléon. Rapp s'approche à son tour ; le regard du jeune allemand, son air décidé lui donnent des soupçons et il le fait discrètement arrêter par un officier de gendarmerie.

Staps est conduit au château, fouillé. On trouve sur lui un couteau et le portrait d'une jeune fille. C'est sans difficulté aucune qu'il avoue son dessein mais il refuse d'en donner la raison à tout autre qu'à l'Empereur lui-même.

Celui-ci le fait donc amener dans son cabinet. Rapp, présent, raconte la scène dans ses Mémoires. Il était calme, la présence de Napoléon ne lui fit pas la moindre impression. Il le salua cependant poliment. Napoléon lui demanda s'il parlait français. Staps répondit avec aisance : "Trés peu".

Rapp sert donc d'interprête au cours de l'interrogatoire qui suit.

Napoléon ‒ Que vouliez-vous faire de votre couteau ?

Staps ‒ Vous tuer.

Napoléon ‒ Vous êtes fou, jeune homme ; vous êtes illuminé.

Staps ‒ Je ne suis pas fou, je ne sais pas ce que c'est qu'illuminé.

Napoléon ‒ Vous êtes donc malade ?

Staps ‒ Je ne suis pas malade, je me porte bien.

Napoléon ‒ Pourquoi voulez-vous me tuer ?

Staps ‒ Parce que vous faites le malheur de mon pays.

Napoléon ‒ Vous ai-je fait quelque mal ?

Staps ‒ Comme à tous les Allemands.

Napoléon ‒ Par qui êtes-vous envoyé ? Qui vous a poussé à ce crime ?

Staps ‒ Personne. C'est l'intime conviction qu'en vous tuant je rendrai le plus grand service à mon pays et à l'Europe qui m'a mis les armes à la main.

Napoléon fait venir son médecin, Jean-Nicolas Corvisart des Marets, qui l'assure que Staps est en bonne santé et point fou. Le dialogue reprend.

Napoléon ‒ Vous avez la tête exaltée, vous ferez la perte de votre famille. Je vous accorderai la vie si vous demandez pardon du crime que vous avez voulu commettre et dont vous devez être fâché.

Staps ‒ Je ne veux pas de pardon. J'éprouve le plus vif regret de n'avoir pas réussi.

Napoléon ‒ Diable ! Il paraît qu'un crime n'est rien pour vous !

Staps ‒ Vous tuer n'est pas un crime, c'est un devoir.

Napoléon ‒ Quel est ce portrait qu'on a trouvé sur vous ?

Staps ‒ Celui d'une jeune personne que j'aime.

Napoléon ‒ Elle sera affligée de votre aventure.

Staps ‒ Elle sera affligée de ce que je n'ai pas réussi, elle vous abhorre autant que moi.

Napoléon ‒ Mais, enfin, si je vous fais grâce, m'en saurez-vous gré ?

Staps ‒ Je ne vous en tuerai pas moins.

La conversation s'arrête là.

Le soir Napoléon écrit à Joseph Fouché pour lui relater l'événement et exprimer son désir qu'on ne lui laisse pas prendre de l'importance, au besoin en faisant passer le jeune meurtrier pour fou. Il n'en est pas moins impressionné par cet épisode qui lui fait mesurer l'intensité de la haine éprouvée par les Allemands.

Le jeune homme, qui refuse toute nourriture, est jugé le 15 octobre 1809 par une cour militaire. Le 17, Friedrich Staps est fusillé. Il meurt en criant : Vive la liberté ! Vive l'Allemagne ! Mort à son tyran !

Il est possible que cette tentative d'assassinat ait hâté le divorce de Napoléon et Joséphine. L'Empereur aurait mesuré, à cette occasion, la fragilité de son régime en l'absence d'héritier. Comme le dit Jean Tulard : Le poignard de Staps avait manqué Napoléon. Il tuait Joséphine.