Prononciation :
Emmanuel-Louis-Henri de Launay appartient, selon ses dires, à une vieille famille du Vivarais, dont l'origine remonte au XIVème siècle. Il naît le 25 décembre 1753 soit à Montpellier, soit à Villeneuve-de-Berg, soit à Antraigues-sur-Volane, les sources divergent sur ce point.
Officier de cavalerie sous l'Ancien-régime, il quitte l'armée pour une raison inconnue et se met à voyager. Après avoir parcouru l'Europe en tout sens, il visite la Syrie, l'Egypte et même l'Ethiopie. Ces pérégrinations lui permettent d'acquérir la maîtrise de plusieurs langues et de nouer d'utiles relations au sein des chancelleries européennes.
En 1788, pénétré des doctrines en vogue (il a fréquenté Jean-Jacques Rousseau de 1770 jusqu'à la mort du philosophe en 1778, séjourné à Ferney en compagnie de Voltaire, fréquenté Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, Jean-François de La Harpe, Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau), il publie deux brochures dans lesquelles il se montre très favorable aux idées nouvelles et au Tiers-État, allant jusqu'à écrire que La noblesse héréditaire est le plus grand fléau que Dieu, dans sa colère, ait répandu sur les humains.
Pourtant, l'année suivante, c'est cette noblesse honnie qui l'envoie la représenter aux États-Généraux. Il s'y montre d'abord révolutionnaire modéré, votant la Déclaration des droits de l'homme, incitant son ordre à renoncer à ses privilèges et participant au Serment du jeu de Paume. Mais la journée du 5 octobre 1789, durant laquelle le peuple de Paris va chercher à Versailles le roi et sa famille, le fait basculer dans l'opposition au régime qui se met en place.
Fin 1789, il est dénoncé pour avoir planifié, en compagnie du marquis Thomas de Mahy de Favras, l'évasion du roi et des siens. L'exécution de son complice présumé, en février 1790, le convainc d'émigrer le mois suivant. Il entre alors au service du gouvernement espagnol, pour lequel il remplit quelques missions plus ou moins avouables, mélanges de diplomatie, de journalisme et d'espionnage.
Durant l'occupation de Toulon par la flotte britannique, il obtient sa nomination comme « ministre plénipotentaire » du roi d'Espagne Charles IV auprès du « régent de France », le comte de Provence, qui a manifesté son intention de se rendre dans la ville. Le voyage du futur Louis XVIII n'ayant pu se faire, d'Antraigues trouve un autre moyen d'entrer en contact avec lui et offre de créer une officine d'information chargée de renseigner les cours étrangères sur l'état intérieur de la France.
La proposition acceptée, les cours d'Espagne et d'Angleterre sont bientôt inondées de bulletins qui leur communiquent des nouvelles sensationnelles, qu'elles prennent pourtant au sérieux.
En 1797, d'Antraigues est installé en Italie, où, depuis la paix entre la France et l'Espagne, il appartient à la légation de l'empire de Russie. Après la prise de Milan, Napoléon Bonaparte, qui connaît ses agissements, le fait arrêter, s'empare de ses papiers et lui fait rédiger un memorandum qui révèle la trahison du général Charles Pichegru. Peu après, d'Antraigues, assigné à résidence mais mollement gardé, s'enfuit en compagnie de sa femme, la célèbre chanteuse Antoinette Saint-Huberty, et de ses enfants.
Congédié par le comte de Provence, dont la méfiance a été éveillée par l'évasion trop facile de son agent, le comte d'Antraigues se venge en se prétendant en possession de papiers écrits par Louis XVI juste avant son exécution et qui dénient au futur Louis XVIII son droit au trône pour avoir trahi son propre frère par ambition personnelle.
D'Antraigues vit les années suivantes en Allemagne, en Autriche et en Russie, où il est nommé conseiller d'Etat et se fait orthodoxe. Envoyé en mission secrète à Dresde par Alexandre Ier, il est expulsé de Saxe en 1806 et s'installe en Angleterre. Il vit alors du trafic de documents, vrais ou faux ‒ il aurait ainsi fourni au secrétaire aux Affaires étrangères George Canning, en 1807, les articles secrets du traité de Tilsitt ‒ faisant à l'occasion chanter de grands personnages.
Ayant vécu de trahison, il meurt très logiquement par trahison. Un de ses domestiques ‒ peut-être par suite d'une sinistre conspiration impliquant l'un des nombreux ennemis du comte ; peut-être par crainte d'être découvert après avoir vendu des documents compromettants à des agents napoléoniens ; peut-être simplement pour avoir été mal traité par ses employeurs; assassine son maître et la femme de celui-ci à l'arme blanche, le 22 juillet 1812, à Barnes-Terrace, près de Londres. Le coupable présumé, du nom de Lorenzo, est retrouvé mort lui aussi, d'un coup de pistolet, dans la maison de ses victimes...
"Emmanuel-Louis-Henri de Launay, comte d'Antraigues (possible)". Estampe du XIXème siècle.
Le comte d'Antraigues a laissé à la postérité une abondante oeuvre littéraire : Mémoire sur les États généraux, leurs droits et la manière de les convoquer (1788), Ma conversation avec le comte de Montgaillard, Exposé de notre antique et seule règle de la constitution française, d'après nos lois fondamentales (1792), Mémoire sur la constitution des états de la province du Languedoc, Sur la régence de Louis-Stanislas Xavier (1793), Observations sur la conduite des princes coalisés (1795), puis durant son long exil de vingt-deux ans de nombreux pamphlets, contre la Révolution française d'abord, puis contre Napoléon : Des monstres ravagent partout, Point d'accommodement, Fragment de Polybe ...