Date et lieu
- 21 octobre 1805 au large du cap Trafalgar, situé dans la commune de Barbate près de Cadix en Andalousie (Espagne), au nord-ouest du détroit de Gibraltar.
Forces en présence
- Flotte franco-espagnole de 33 navires, sous les ordres de l’amiral Pierre Charles Silvestre de Villeneuve.
- Flotte britannique de 27 navires, commandée par le vice-amiral Horatio Nelson.
Pertes
- Flotte franco-espagnol : 3 243 morts, 2 538 blessés, environ 8 000 prisonniers.
- Flotte britannique : 446 morts, 1 246 blessés.
La bataille de Trafalgar met un terme définitif aux ambitions françaises de porter la guerre sur le sol de l’Angleterre. Elle intervient à l’issue d’une longue séquence de manoeuvres complexes, destinées en principe à donner provisoirement la maîtrise du pas de Calais (la partie la plus étroite du détroit entre la France et la Grande-Bretagne) à la flotte impériale.
Quelque 100 000 hommes de troupe, rassemblés sur les côtes de la mer du Nord, sont prêts à en profiter pour traverser le détroit à bord d’une myriade d’embarcations.
Situation générale
Les opérations ont débuté le 30 mars 1805, par l’appareillage de l’escadre de Pierre Charles Silvestre de Villeneuve. Celle-ci a quitté Toulon pour une longue croisière qui l’a ramenée le 27 juillet en Europe, à Vigo puis à La Corogne [La Coruña] après un détour aux Antilles où elle a séjourné du 14 mai au 5 juin.
Ce périple, destiné à tromper les Anglais et à concentrer diverses escadres françaises sous un commandement unique afin de disposer au moment crucial et sur le théâtre choisi ‒ à la jonction de la Manche et de la mer du Nord ‒ d’une supériorité numérique suffisante, se solde par un échec.
Le 15 août, Villeneuve, qui a quitté La Corogne l’avant-veille en direction de Brest, fait finalement demi-tour pour aller s’enfermer à Cadix [Cádiz], où il arrive le 20. Comme l’écrira Napoléon 1er avant même de connaître avec certitude le parti pris par son amiral : Braves soldats du camp de Boulogne ! Vous n’irez point en Angleterre...
Préliminaires
A Cadix
Une fois à Cadix , Villeneuve s’occupe exclusivement de refaire ses approvisionnements et de réparer les avaries de ses navires. Le renforcement de la croisière anglaise qui surveille ce port le laisse totalement passif. Elle ne compte pourtant que 4 vaisseaux à son arrivée, puis 11 le lendemain.
Avec à sa disposition les 6 excellents navires espagnols mouillés à Carthagène [Cartagena] et en y ajoutant ne serait-ce que les meilleurs des siens, il dispose d’une supériorité numérique écrasante. Il laisse passer cette occasion et, dès le 3 septembre, il est déjà presque trop tard. Les Anglais sont désormais 30 à surveiller son mouillage.
Derniers ordres de Napoléon
Napoléon n’en ordonne pas moins à Villeneuve, par un courrier du 16 septembre, de sortir de son abri pour aller débarquer à Naples [Napoli] les troupes qu’il transporte, puis de retourner à Toulon. L’amiral se voit également enjoindre de rechercher, chaque fois qu’il sera en surnombre, une affaire décisive.
La flotte française est néanmoins aux prises avec de telles difficultés pour réaliser ses approvisionnements qu’il est illusoire d’espérer la voir lever l’ancre avant longtemps, d’autant que le tempérament de son chef ne l’y pousse guère. Même les rumeurs sur l’arrivée imminente d’Horatio Nelson à la tête de 6 vaisseaux supplémentaires ‒ qui s’avéreront bientôt fondées ‒ ne décident pas Villeneuve à décrocher.
Curieusement, Napoléon, en désignant l’amiral François-Etienne de Rosily-Mesros pour prendre le commandement de l’escadre de Cadix, lui donne, dans sa lettre du 17 septembre, des instructions de prudence tout opposées à celles qu’il vient d’envoyer la veille à Villeneuve ‒ sans d’ailleurs informer ce dernier de son remplacement. Probablement l’Empereur le croit-il trop timoré pour obéir à ses ordres et ne veut-il que l’aiguillonner afin de lui donner un peu de ce mordant dont il manque tellement.
Atermoiements puis appareillage de Villeneuve
Le 7 octobre 1805, Villeneuve est sur le point d’appareiller quand il se ravise et convoque une sorte de conseil de guerre, auquel sont invités les officiers généraux et les plus anciens capitaines de la flotte.
Il s’en justifie auprès de l’amiral Denis Decrés, ministre de la Marine, par une lettre du 8 dans laquelle il indique qu’il n’a pu rester insensible aux observations venues de toutes parts sur l’infériorité réelle de ses forces comparées à celles de l’ennemi. Les Anglais ont devant Cadix de 31 à 33 vaisseaux, dont 8 à trois ponts. Chez nous, 3 bâtiments espagnols, sortis tout frais des chantiers, sont encore hors d’état de combattre. Nous ne disposons donc pas de 33 mais de 30 vaisseaux. Prendre la mer dans de telles conditions, avec la certitude d’avoir à livrer bataille, c’est commettre un acte de désespoir non seulement inutile, mais contraire à l’intérêt des alliés !
.
Tous les officiers présents à la réunion, auxquels les instructions de Napoléon ont été communiquées sous le sceau du secret, sont unanimes pour considérer comme nécessaire d’attendre l’occasion favorable
évoquée par l’Empereur pour tenter une sortie.
Pendant ce temps, Rosily poursuit son chemin pour venir relever Villeneuve. Il est à Madrid le 10 octobre mais n’en repart que le 14 suite à un accident de voiture. Il lui faudra encore 10 jours pour atteindre Cadix... où il n’arrivera qu’après le départ de l’escadre dont il doit prendre le commandement.
Villeneuve est prévenu le 15 de cette arrivée imminente ‒ sans plus de détail. Il s’en réjouit d’abord mais quand les rumeurs commencent à lui faire comprendre que c’est sa place que vient occuper le nouveau venu, il décide de prendre la mer à la première occasion. Il en prévient aussitôt Decrés par lettre.
Or, cette occasion s’offre aussitôt. Le 18 octobre 1805, le temps est magnifique, le vent favorable et, surtout, Villeneuve apprend que pas moins de 6 des vaisseaux anglais sont indisponibles pour diverses raisons. Il n’y a plus à hésiter. Le 19, au petit matin, la flotte franco-espagnole commence à sortir de la rade [36.53405, -6.28860]. Villeneuve écrit à Decrés : Je n’ai consulté, monseigneur, dans ce départ, que le désir ardent de me conformer aux intentions de Sa Majesté [...]
.
Dispositions des adversaires
Plan de Nelson : la Nelson touch
A cet instant, Nelson est devant Cadix depuis le 28 septembre mais sa présence n’est connue que depuis le 2 du mois suivant par suite du soin qu’il a pris de ne pas se faire accueillir par les saluts réglementaires. Six vaisseaux de ligne et une frégate sont arrivés avec lui. Depuis, il attend avec impatience la confrontation.
L’amiral anglais a déjà une idée assez précise de la tactique qu’il va employer. Il l’a exposée oralement aux capitaines de sa flotte et en a laissé une version écrite. Les réactions ont été unanimement enthousiastes. Face à un adversaire dont il ne doute pas qu’il adoptera les combinaisons les plus traditionnelles, l’amiral anglais entend innover en se basant sur son expérience des engagements passés. La Nelson touch
, comme il l’appelle, doit lui permettre d’obtenir un succès écrasant.
Nelson, doué d’une largeur de vues qui contraste douloureusement avec l’étroitesse de celles de Villeneuve, ne doute pas un instant d’être à la veille d’un tournant dans la lutte entre la France et l’Angleterre et de tenir entre ses mains le sort de la guerre.
Les instructions qu’il rédige prévoient d’affronter l’ennemi non en se plaçant bords à bords avec ses vaisseaux mais en tronçonnant sa ligne par une attaque en colonnes avant d’écraser séparément chaque fraction. Si ces ordres posent un cadre, ils prennent soin de ne pas le rendre trop rigide. L’amiral, manifestant une grande confiance en ses subordonnés, leur accorde une large liberté dans l’exécution.
Dispositions de Villeneuve
A l’inverse, Villeneuve est sans illusion sur la valeur technique de ses équipages et de ses capitaines. Bien que conscient de l’insuffisance des vieilles routines face à un Nelson ‒ dont il prévoit même assez finement les intentions tactiques, ce qui prouve qu’à défaut d’avoir les qualités d’un chef, l’amiral français connaît son métier ‒ il en est pourtant réduit à les appliquer.
Le manque d’initiative est depuis trop longtemps inscrit dans les habitudes des capitaines français pour pouvoir soudain leur demander de faire preuve d’autonomie. Villeneuve ne peut compter, de son propre aveu, que sur leur courage et leur amour de la gloire.
Anticipant la rupture de sa ligne, il regroupe cependant les vaisseaux espagnols dans une escadre d’observation, confiée à l’amiral Don Federico Gravina , dont la mission sera de se porter au secours des fractions les plus en danger.
Rencontre des flottes
Aussitôt prévenu de l’appareillage des alliés, Nelson se met en route pour aller barrer le détroit de Gibraltar . Le 19, Villeneuve ne parvient à faire sortir que les 9 vaisseaux du contre-amiral Charles René Magon de Médine . Le reste de la flotte quitte la rade le lendemain, alors que le temps s’est dégradé et que la mer a grossi.
Le cap est d’abord mis à l’ouest-nord-ouest puis au sud-ouest en début d’après-midi. Ce changement de route s’accompagne d’un passage en formation sur trois colonnes. A 6 heures, l’évolution n’est pas encore achevée quand une flotte anglaise est signalée à l’ouest-sud-ouest. Il s’agit de Nelson qui s’avance depuis Gibraltar.
Villeneuve ordonne aussitôt le Ralliement général absolu puis, deux heures plus tard, de former la ligne de bataille. La manoeuvre s’effectue tant bien que mal, de nuit, en se guidant sur le fanal d’artimon du navire de l’amiral Gravina, placé en tête de file. La flotte anglaise, pour sa part, garde le contact en se rassemblant.
A l’aube du 21, la flotte française est à 12 nautiques environ au large du cap Trafalgar [36.18094, -6.03415] et navigue, dans une formation quelque peu erratique, vers le sud. Les Anglais sont à 10 milles au sud-sud-ouest des Français et se dirigent au nord-nord-est. A 6 heures 30, Nelson donne l’ordre de marcher en deux colonnes et de prendre le cap à l’est-nord-est. Le temps est couvert, la mer houleuse et le vent souffle de l’ouest-nord-ouest.
Villeneuve, constatant la désorganisation de sa flotte, ordonne à nouveau de former la ligne et fixe une distance d’une encablure (180 à 200 mètres) comme intervalle entre les vaisseaux. Bientôt, les frégates qu’il a envoyées en reconnaissance le renseignent sur les forces qu’il affronte. On lui annonce 26 vaisseaux (il y en a en fait 27) naviguant par pelotons et sans ordre en direction de son arrière-garde.
Villeneuve en déduit que Nelson compte non seulement accabler la queue de son dispositif sous le nombre mais également interdire au reste toute retraite sur Cadix. A huit heures, il enjoint donc à ses navires de virer lof pour lof, tous ensemble, pour faire route en direction de Cadix dans l’ordre inverse de celui établi précédemment. Puisque la bataille est inévitable, autant la livrer au plus près d’un port ami.
Ralenties par la faiblesse de la brise, les deux flottes font route sur une trajectoire convergente jusque vers midi.
Etat des forces en présence
Les Anglais avancent sur deux colonnes parallèles, légèrement écartées :
Une colonne au vent, au nord, conduite par Horatio Nelson lui-même, comprenant les 12 navires suivants :
- HMS Africa (deux-ponts de 64 canons, équipage de 498 hommes sous le commandement du Captain Henry Digby ), chargé d’attaquer la tête de la flotte franco-espagnole
- HMS Victory (navire amiral, trois-ponts de 104 canons, équipage de 821 hommes sous le commandement du Captain Thomas Masterman Hardy ), avec à son bord le Vice-Admiral Lord Nelson, commandant en chef de la flotte
- HMS Temeraire (trois-ponts de 98 canons, équipage de 718 hommes sous le commandement du Captain Eliab Harvey)
- HMS Neptune (trois-ponts de 98 canons, équipage de 741 hommes sous le commandement du Captain Thomas Francis Fremantle)
- HMS Leviathan (deux-ponts de 74 canons, équipage de 623 hommes sous le commandement du Captain Henry William Bayntun)
- HMS Conqueror (deux-ponts de 74 canons, équipage de 573 hommes sous le commandement du Captain Israel Pellew)
- HMS Britannia (trois-ponts de 100 canons, équipage de 854 hommes sous le commandement du Rear-Admiral The Right Honourable William Carnegie, 7th Earl of Northesk )
- HMS Spartiate (deux-ponts de 74 canons, équipage de 620 hommes sous le commandement du Captain Sir Francis Laforey)
- HMS Minotaur (deux-ponts de 74 canons, équipage de 625 hommes sous le commandement du Captain Charles John Moore Mansfield)
- HMS Ajax (deux-ponts de 74 canons, équipage de 702 hommes sous le commandement du Lieutenant John Pilford)
- HMS Agamemnon (deux-ponts de 64 canons, équipage de 498 hommes sous le commandement du Captain Sir Edward Berry)
- HMS Orion (deux-ponts de 74 canons, équipage de 541 hommes sous le commandement du Captain Edward Codrington)
Une colonne sous le vent, composée des 15 vaisseaux ci-après (division du Vice-Admiral Cuthbert Collingwood ) :
- HMS Royal Sovereign (trois-ponts de 100 canons, équipage de 826 hommes sous le commandement du Captain Edward Rotheram, avec à son bord le Vice-Admiral Cuthbert Collingwood)
- HMS Belleisle (deux-ponts de 74 canons, équipage de 728 hommes sous le commandement du Captain William Hargood )
- HMS Mars (deux-ponts de 74 canons, équipage de 615 hommes sous le commandement du Captain George Duff puis du Lieutenant William Hennah)
- HMS Tonnant (deux-ponts de 80 canons, équipage de 688 hommes sous le commandement du Captain Charles Tyler)
- HMS Bellerophon (deux-ponts de 74 canons, équipage de 522 hommes sous le commandement du Captain John Cooke puis du lieutenant William Pryce Cumby)
- HMS Colossus (deux-ponts de 74 canons, équipage de 571 hommes sous le commandement du Captain James Nicoll Morris)
- HMS Achille (deux-ponts de 74 canons, équipage de 619 hommes sous le commandement du Captain Richard King)
- HMS Defence (deux-ponts de 74 canons, équipage de 599 hommes sous le commandement du Captain George Hope)
- HMS Defiance (deux-ponts de 74 canons, équipage de 577 hommes sous le commandement du Captain Philip Charles Durham)
- HMS Prince (trois-ponts de 98 canons, équipage de 735 hommes sous le commandement du Captain Richard Grindall)
- HMS Dreadnought (trois-ponts de 98 canons, équipage de 725 hommes sous le commandement du Captain John Conn)
- HMS Revenge (deux-ponts de 74 canons, équipage de 598 hommes sous le commandement du Captain Robert Moorsom)
- HMS Swiftsure (deux-ponts de 74 canons, équipage de 570 hommes sous le commandement du Captain William Gordon Rutherfurd )
- HMS Thunderer (deux-ponts de 74 canons, équipage de 611 hommes sous le commandement du Lieutenant John Stockham )
- HMS Polyphemus (deux-ponts de 64 canons, équipage de 484 hommes sous le commandement du Captain Robert Redmill).
Une flotte attachée est par ailleurs composée des navires suivants :
- HMS Euryalus (frégate de 36 canons, équipage de 262 hommes sous le commandement du Captain The Honourable Henry Blackwood )
- HMS Naiad (frégate de 36 canons, équipage de 333 hommes sous le commandement du Captain Thomas Dundas)
- HMS Phoebe (frégate de 36 canons, équipage de 256 hommes sous le commandement du Captain The Honourable Thomas Bladen Capel)
- HMS Sirius (frégate de 36 canons, équipage de 273 hommes sous le commandement du Captain William Prowse)
- HMS Pickle (goélette de 8 canons, équipage de 42 hommes sous le commandement du Lieutenant John Richards La Penotière)
- HMS Entreprenante (cotre de 10 canons, équipage de 41 hommes sous le commandement du Lieutenant Robert Benjamin Young).
La flotte franco-espagnole s’étale sur trois milles nautiques, en un arc de cercle dont la concavité fait face à l’ennemi. Cependant, loin de former une ligne continue et régulière, les navires alliés avancent en cinq groupes, plus ou moins linéaires, mais séparés les uns des autres par des intervalles excessifs.
Ces 33 navires sont disposés du nord au sud comme suit :
- Neptuno (Espagne, deux-ponts de 80 canons, équipage de 800 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Cayetano Valdés y Flores Bazán )
- Scipion (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Charles Berrenger)
- Intrépide (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 745 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Louis-Antoine-Cyprien Infernet)
- Formidable (France, deux-ponts de 80 canons, équipage de 840 hommes sous le commandement du contre-amiral Pierre-Etienne-René-Marie Dumanoir Le Pelley ) et du capitaine de vaisseau Jean-Marie Letellier)
- Duguay-Trouin (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Claude Touffet)
- Mont-Blanc (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Guillaume-Jean-Noël de Lavillegris)
- Rayo (Espagne, trois-ponts de 100 canons, équipage de 830 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Enrique MacDonnell)
- San Francisco de Asís (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 657 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Luis de Florès)
- Héros (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 690 hommes sous le commandement du capitaine de corvette Jean-Baptiste-Joseph-René Poulain puis du lieutenant de vaisseau Jean-Louis Conor)
- San Agustín (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 711 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Felipe Jado Cajigal)
- Santísima Trinidad (Espagne, quatre-ponts de 136 canons, équipage de 1048 hommes sous le commandement du contre-amiral Báltasar Hidalgo de Cisneros y de la Torre et du capitaine de vaisseau Francisco Javier de Uriarte y Borja)
- Bucentaure (France, navire amiral, deux-ponts de 80 canons, équipage de 888 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Jean-Jacques Magendie, avec à son bord le vice-amiral Pierre-Charles-Jean-Baptiste-Silvestre de Villeneuve)
- Redoutable (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 643 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Jean Jacques Étienne Lucas )
- San Justo (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 694 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Francisco Javier Garstón)
- Neptune (France, deux-ponts de 80 canons, équipage de 888 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau de 1ère classe Esprit-Tranquille Maistral )
- San Leandro (Espagne, deux-ponts de 64 canons, équipage de 606 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don José Quevedo)
- Santa Ana (Espagne, trois-ponts de 112 canons, équipage de 1189 hommes sous le commandement du vice-amiral Ignacio María de Álava y Sáenz de Navarrete et du capitaine de vaisseau Don José Ramón de Gardoqui y Jaraveitia)
- L’Indomptable (France, deux-ponts de 80 canons, équipage de 887 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Jean-Joseph Hubert)
- Le Fougueux (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Louis Alexis Baudouin)
- Pluton (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau de 1ère classe Julien Marie Cosmao-Kerjulien )
- Monarca (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 667 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don Teodoro de Argumosa Bourke)
- Algésiras (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du contre-amiral Charles René Magon de Médine puis du capitaine de frégate Laurent Tourneur)
- Bahama (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 690 hommes sous le commandement du commodore Dionisio Alcalá Galiano y Pinedo )
- L’Aigle (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Pierre-Paulin Gourrège)
- Montañés (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 715 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Francisco Alcedo y Bustamante)
- Swiftsure (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Charles-Eusèbe Lhospitalier de Villemadrin)
- Argonaute (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Jacques Épron-Desjardins)
- Argonauta (Espagne, deux-ponts de 80 canons, équipage de 798 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don José Antonio de Pareja y Mariscal)
- San Ildefonso (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 716 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Don José Ramón de Vargas y Varáez)
- Achille (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Louis Gabriel Deniéport)
- Príncipe de Asturias (Espagne, trois-ponts de 112 canons, équipage de 1113 hommes sous le commandement du commodore Rafael de Hore, avec à son bord l’amiral Don Federico Carlos Gravina et le contre-amiral Don Antonio de Escaño y García de Cáceres )
- Berwick (France, deux-ponts de 74 canons, équipage de 755 hommes sous le commandement du capitaine de vaisseau Jean-Gilles Filhol de Camas)
- San Juan Nepomuceno (Espagne, deux-ponts de 74 canons, équipage de 693 hommes sous le commandement du commodore Don Cosme Damián Churruca y Elorza ).
Une flotte attachée comprend les navires suivants, tous français :
- Cornélie (frégate de 40 canons, sous le commandement du capitaine de vaisseau André-Jules-François de Martineng)
- Hermione (frégate de 40 canons, sous le commandement du capitaine de vaisseau Jean-Michel Mahé)
- Hortense (frégate de 40 canons, sous le commandement du capitaine de vaisseau Louis-Charles-Auguste Delamarre de Lamellerie)
- Rhin (frégate de 40 canons, sous le commandement du capitaine de vaisseau Michel Chesneau)
- Thémis (frégate de 40 canons, sous le commandement du capitaine de vaisseau Nicolas-Joseph-Pierre Jugan)
- Furet (brick de 18 canons, équipage de 130 hommes sous le commandement du lieutenant de vaisseau Pierre-Antoine-Toussaint Dumay)
- Argus (brick de 16 canons, équipage de 110 hommes sous le commandement du lieutenant de vaisseau Yves-Francois Taillard).
Au total, les Alliés disposent donc de 33 vaisseaux, auxquels s’ajoutent 7 frégates, soit 2 856 canons. Les Anglais n’alignent pour leur part que 27 vaisseaux et 6 frégates ou corvettes, totalisant 2 314 pièces d’artillerie. Mais, outre qu’ils disposent de 7 vaisseaux à trois ponts, contre 4 aux alliés (tous espagnols), leurs navires sont en général plus rapides, plus agiles, mieux commandés et mieux servis par des officiers et des équipages plus aguerris et plus entraînés.
Dernières dispositions
Vers 11 heures 15, Villeneuve ordonne d’ouvrir le feu dès que les navires ennemis seront à portée, soulevant les vivats de ses équipages. Nelson lui, passe son plus bel uniforme et ses décorations les plus prestigieuses avant de monter sur le pont du HMS Victory. La disposition de ses colonnes n’est pas tout à fait conforme à ses projets. La sienne forme une ligne plutôt tourmentée braquée sur l’avant-garde française ; celle de Collingwood se rue sur l’arrière-garde en formant un front décousu.
Il est trop tard pour y remédier. Nelson fait passer son dernier message avant la bataille : l’Angleterre compte que chacun fera son devoir
puis il envoie le signal numéro 16 : Engagez le combat
. Les deux flottes ne sont plus séparées que de 800 mètres. Il est 11 heures 55.
La bataille
Premiers combats
La première bordée part du vaisseau français le Fougueux, 18e vaisseau de la ligne. Elle s’adresse au HMS Royal-Sovereign de Collingwood qui vient lui couper le chemin, accompagné sur tribord du reste de son escadre dont chaque vaisseau se dirige sur un bâtiment de l’arrière-garde franco-espagnole.
Dans les 20 minutes qui suivent, toutes les unités entre la 17e (Santa Ana) et la 33e se trouvent aux prises avec les membres de la colonne Collingwood. La colonne Nelson, elle, n’est pas encore au contact. Après avoir paru se diriger l’avant-garde, elle se rabat sur le centre en défilant à contre-sens devant les navires de tête alliés.
Ce mouvement, conduit par le HMS Victory, n’implique que 6 vaisseaux. Les 6 autres, distancés, ne peuvent encore prendre part au combat. Tour à tour, sept des huit premiers vaisseaux de la ligne alliée canonnent sans succès le navire amiral anglais qui se dirige sur l’adversaire qu’il s’est choisi : le Bucentaure, son homologue français.
Un affrontement d’abord indécis
Alors que les combats font déjà rage un peu partout le long de la ligne et s’intensifient au fur et à mesure de l’arrivée des attardés, tandis que le HMS Royal-Sovereign a déjà perdu son grand-mât et son mât de misaine, le HMS Victory, 45 minutes après le début de la bataille, arrive à portée du Bucentaure. Celui-ci est flanqué du Santísima Trinidad, le plus gros navire de guerre au monde (4 ponts, plus de 130 canons) et du Redoutable, le meilleur vaisseau français. Les trois navires sont en formation si serrée qu’il est impossible de se glisser entre eux.
Le capitaine du HMS Victory, Thomas Hardy, laissé libre de son choix par Nelson, décide d’attaquer en priorité le Redoutable, moins puissant que les deux autres. Pour ce faire, il croise l’arrière du Bucentaure, en l’écrasant au passage d’une bordée de ses 50 canons, puis abat brutalement sur tribord en sacrifiant grand mât de perroquet et mât d’artimon pour se retrouver bord à bord avec sa proie.
Il est environ 13 heures et tous les vaisseaux sont engagés sauf les 8 premiers de la ligne franco-espagnole qui continuent leur chemin vers Cadix malgré le signal numéro 5, à eux envoyé par Villeneuve, et indiquant que tout vaisseau qui n’est pas au combat n’est pas à son poste et doit prendre une position qui le reporte le plus promptement possible au feu
.
La mêlée est furieuse et il n’est plus question de tactique. La bataille s’est transformée en une série de combats singuliers, coque contre coque. Les gréements s’emmêlent, tant dans les airs que sur les ponts où ils se sont abattus. Plusieurs navires sont à la dérive. Les pertes en hommes d’équipage comme en officiers sont déjà considérables.
Malgré tous leurs handicaps, les alliés luttent vaillamment, s’appuyant sur leur courage et leur ardeur. Le Bucentaure tient bon. Le Redoutable fait mieux que résister au HMS Victory. Agrippés l’un à l’autre, les deux vaisseaux ont échangé des bordées meurtrières. Désormais, les survivants de leurs équipages se mitraillent depuis le bordage ou les gréements qui restent debout. Dans cet exercice, les Français se montrent les plus précis.
Soudain, sur le gaillard d’arrière du HMS Victory d’où il galvanise ses hommes, Nelson s’écroule. Une balle vient de lui traverser le poumon gauche et de se loger dans sa colonne vertébrale.
Il n’est pas le seul chef à payer de sa personne : le capitaine George Duff, du HMS Mars, est mort, tout comme celui du Héros, Jean-Baptiste Poulain, et le second de l’Achille ; le commandant de l’Aigle, Pierre Gourrège, a expiré à sa quatrième blessure ; l’amiral Ignacio María de Álava, sur le Santa Ana, est grièvement blessé, ainsi que son chef l’amiral Gravina et le contre-amiral Don Antonio de Escaño, tous deux du Príncipe de Asturias ; la moitié des officiers de l’Algésiras a disparu...
A 13 heures 50, le Bucentaure signale à nouveau à l’avant-garde de virer vent-arrière à la fois
, confirmant l’ordre formel de rejoindre la bataille hissé à 13 heures.
Aucun vaisseau allié n’a encore amené son pavillon pour se rendre. Chez les Anglais plusieurs navires (le HMS Mars, le HMS Royal-Sovereign, le HMS Victory même) sont durement touchés. La victoire peut encore basculer dans l’un ou l’autre camp. L’avant-garde de Pierre Etienne Dumanoir en détient peut-être la clé. Si elle continue à s’enfuir, les quelque 5 ou 6 vaisseaux anglais qui n’ont pas encore donné dans la mêlée feront basculer la victoire dans le camp britannique ; si elle intervient, tout peut encore se passer.
Attitude de l’escadre Dumanoir
L’attitude adoptée jusque-là par le contre-amiral est incompréhensible et injustifiable sinon par l’incapacité. Il finit cependant par obéir, et sept de ses huit vaisseaux virent de bord, non sans mal, certains devant s’aider de leurs canots et deux d’entre eux s’abordant au cours de la manoeuvre, heureusement sans grand mal. Dumanoir met ensuite le cap à l’ouest pour donner à son escadre le temps de se réorganiser.
Le sort bascule
C’est pourtant au sud, autour du Bucentaure et du HMS Téméraire, que se joue le sort de la bataille. Le vaisseau amiral de Villeneuve tient toujours mais va bientôt perdre son grand-mât et son mât d’artimon. A bord du Redoutable, on se prépare à monter à l’abordage du HMS Victory mais la différence de taille des deux navires gêne les Français. Seuls 5 hommes dont un aspirant parviennent à grimper sur le vaisseau anglais en passant par une ancre.
Mais sur ces entrefaites, le HMS Téméraire est venu prêter main-forte à son vaisseau-amiral en se portant sur la hanche tribord du français. Celui-ci se retrouve pris entre deux feux. Son commandant, le capitaine de vaisseau Jean Jacques Etienne Lucas, refuse pourtant de se rendre. Une bordée vient alors faucher son grand-mât qui s’abat en défonçant la poupe du navire. A cet instant, la victoire a choisi son camp, celui de la maîtrise technique.
En queue de ligne, la situation s’assombrit également. Les deux derniers vaisseaux, eux aussi, sont pris entre deux feux. Juste devant eux, le Príncipe de Asturias est à la dérive, accompagné du Montañés. Les sept vaisseaux suivants sont en piteux état et ne soutiendront plus bien longtemps un combat que leurs redditions successives rendront de plus en plus inégal.
Premières redditions alliées
Un peu après 14 heures, au centre, le Santa Ana, qui a été le premier en action et qui a depuis perdu son amiral, son capitaine et trois cent hommes, voit s’abattre simultanément ses trois mâts. C’en est trop pour les survivants qui ont poursuivi jusque-là un combat perdu d’avance. Quelques instants plus tard, à 14 heures 20, Collingwood, dont le navire est lui-même si ravagé que l’amiral va bientôt devoir passer sur la frégate HMS Euryalus pour continuer à diriger les opérations, enregistre sa reddition, la première du combat.
Le Redoutable et le Fougueux sont les deux prises suivantes des Anglais. Le premier a perdu, tués ou blessés, son capitaine, 12 officiers sur 17, ses 11 aspirants et 520 hommes sur 643. Après la chute de son mât d’artimon, il ne peut plus que dériver, empêtré dans ses débris et ceux du HMS Victory et du HMS Téméraire, guère plus fringants que lui. Son état est tel que ses vainqueurs hésitent à passer à son bord pour en prendre possession, tant ils craignent de le voir couler bas.
C’est l’instant où le Fougueux, incapable de gouverner lui non plus, vient donner dans son travers. Du coup, le HMS Téméraire lâche sur le nouvel arrivant une bordée qui en tue le commandant, le capitaine de vaisseau Louis Alexis Baudouin. L’équipage anglais monte ensuite à l’abordage. Le Fougueux ne peut que se rendre à son tour. Il est 15 heures.
Les navires les plus ardents de l’avant-garde de Dumanoir, le Neptuno et l’Intrépide, se sont enfin jetés au coeur de la bataille, à la rescousse du Santísima Trinidad et du Bucentaure tandis que le reste échange quelques coups de canons avec l’ennemi en se portant sur le centre.
L’arrière-garde est écrasée
Au sud, le dernier vaisseau de la ligne, le San Juan Nepomuceno est le quatrième à se rendre. Mais le reste de l’arrière-garde est en piteux état également. Le Swiftsure et l’Algésiras ont perdu des mâts, l’Achille est en feu, le Berwick et l’Argonauta dévastés. La fin est proche. La supériorité tactique et technique des Anglais ne laisse plus aucun espoir aux combattants alliés. Le Príncipe de Asturias, le San Justo et le San Leandro commencent à s’écarter de la bataille, tout comme, peu après, le San Francisco de Asís, le Rayo et le Héros.
Le Bucentaure amène son pavillon
Sur le Bucentaure à l’agonie, Villeneuve ne parvient pas à trouver un canot pour passer sur un autre navire. D’ailleurs, les plus proches sont aux mains des Anglais et les autres en fuite. Il fait jeter à la mer l’aigle impériale, les signaux et les ordres puis, à 15 heures 30, amène son pavillon.
D’autres suivent son exemple ou ne l’ont pas attendu : le San Agustín, l’Astronauta, le Swiftsure, l’Aigle, le San Ildefonso, le Bahama. Dumanoir, lui, s’écarte à nouveau, cette fois sans idée de retour. Puis c’est au tour de l’Algésiras et du Berwick de capituler tandis que l’Achille est la proie des flammes, après avoir perdu son commandant, Louis Gabriel Deniéport, son second et l’enseigne qui leur a succédé.
Fin des combats
A 16 heures, il ne reste qu’une douzaine de vaisseaux alliés sur le champ de bataille, la plupart s’en éloignant. Seuls le Neptuno et l’Intrépide résistent encore. Pour les Anglais, la bataille est gagnée.
Nelson, à l’agonie, a le bonheur d’être informé de sa victoire avant de mourir dans les bras du commandant du HMS Victory, le capitaine Hardy. Au même instant, ou presque, le Neptuno et l’Intrépide cessent le combat tandis que l’Achille, en feu, s’abîme dans les flots.
Bilan
La défaite des Alliés est accablante. Sur 33 vaisseaux engagés, 17 ont été pris par les Anglais. Un dix-huitième a sombré. Sur les 15 rescapés, 4 fuient vers la haute mer sous le commandement de Dumanoir, onze se réfugient à Cadix avec Gravina.
Les pertes humaines sont de 6 500 morts ou blessés dont 3 000 morts et plus de 1 000 blessés français. Le contre-amiral Magon et 9 commandants de vaisseaux ont été tués. 10 autres ont été blessés ainsi que les contre-amiraux Gravina, Álava et Báltasar Hidalgo de Cisneros. Villeneuve est prisonnier et partage ce sort avec plusieurs milliers de ses hommes.
Voici en détail le sort de chaque navire :
- Neptuno Repris par les alliés puis échoué devant Cadix
- Scipion Pris le 4 novembre
- Intrépide Volontairement incendié par les Anglais après sa prise
- Formidable Pris le 4 novembre
- Duguay-Trouin Pris le 4 novembre
- Mont-Blanc Pris le 4 novembre
- Rayo Incendié par les Anglais devant Cadix après son échouement
- San Francisco de Asís Rescapé
- Héros Rescapé
- San Agustín Volontairement incendié par les Anglais après sa prise
- Santísima Trinidad Sabordé par les Anglais après sa prise
- Bucentaure Repris par son équipage puis naufragé
- Redoutable Sabordé par les Anglais après sa prise
- San Justo Rescapé
- Neptune Rescapé
- San Leandro Rescapé
- Santa Ana Repris par les alliés devant Cadix
- L’Indomptable Rescapé
- Le Fougueux Abandonné par les Anglais après sa prise puis naufragé
- Pluton Rescapé
- Monarca Abandonné par les Anglais après sa prise puis naufragé
- Algésiras Repris par son équipage
- Bahama Coulé
- L’Aigle Abandonné par les Anglais après sa prise puis naufragé
- Montañés Rescapé
- Swiftsure Amené à Gibraltar puis détruit
- Argonaute Rescapé
- Argonauta Sabordé par les Anglais après sa prise
- San Ildefonso Amené à Gibraltar puis détruit
- Achille Incendié et coulé
- Príncipe de Asturias Rescapé
- Berwick Abandonné par les Anglais après sa prise puis naufragé
- San Juan Nepomuceno Rescapé.
Côté anglais, 449 marins sont morts, dont Nelson, et 1 214 blessés. Le navire le plus touché, le HMS Colossus, n’a que 40 tués tandis que 13 navires ont moins de 10 morts et l’un d’eux, le HMS Prince, aucun. Malgré la faiblesse de ces pertes, les avaries sont telles qu’une moitié de la flotte, hors d’état de naviguer, doit se réfugier à Gibraltar.
Suites
Dans les jours qui suivent, les prises anglaises fondent comme neige au soleil. Certains navires, le Bucentaure, l’Algésiras, parviennent à se libérer de leurs équipages de prise ; le Neptuno et le Santa Ana sont récupérés à la faveur d’une audacieuse sortie du capitaine Julien Marie Cosmao-Kerjulien et de son Pluton, réfugié en rade de Cadix après la débâcle ; d’autres sont tout simplement abandonnés à leur sort ; d’autres encore sont délibérément coulés ou incendiés faute de pouvoir être remis en état et ramenés vers un mouillage ami ; des 4 qui parviennent à Gibraltar, l’un sombre en y arrivant, 2 autres sont dans un tél état de délabrement qu’il ne reste qu’à les démolir.
Au total, seul reste aux Britanniques le San Juan Nepomuceno, qui sera incorporé dans la flotte de Sa Majesté.
Les Alliés, pour leur part, ne récupèrent au bout du compte que l’Algésiras et le Santa Ana, le Neptuno s’étant échoué peu après avoir été repris.
Le bilan s’alourdit encore pour les Français lorsque les restes de l’escadre de Dumanoir, à savoir le Formidable, le Scipion, le Mont-Blanc et le Dugay-Trouin, croisent la route du commodore Richard Strachan le 2 novembre au large du cap Finisterre [42.87988, -9.27280]. Mal conduite par Dumanoir, toujours aussi peu inspiré, la bataille, engagée le 4 novembre, s’achève par une nouvelle déroute et les Anglais ramènent à Plymouth 4 nouvelles prises.
Au total, des vaisseaux franco-espagnols ayant pris part à la bataille de Trafalgar, 10 seulement en ont réchappé. Le 25 octobre, en arrivant à Cadix, l’amiral Rosily n’y trouve plus que 5 vaisseaux français là où il pense en avoir 18 à commander. Ces 5 là d’ailleurs, ne reverront jamais non plus les côtes françaises puisqu’ils tomberont aux mains des insurgés espagnols le 14 juin 1808, peu après la défaite de Bailen.
Conséquences
Trafalgar est la dernière grande bataille de la marine à voiles. Elle clôt définitivement la lutte pour la prépondérance maritime qui oppose sporadiquement la France et l’Angleterre depuis des siècles et scelle la suprématie britannique sur les mers, qui va rester incontestée jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Malgré cet échec, Napoléon ne renonce pas au développement de sa marine. La construction de navires se poursuit ; les ports sont améliorés, des arsenaux créés ; les équipages sont réorganisés sur le modèle de l’armée, dotés d’un uniforme et d’un fusil et reçoivent une formation militaire ; des écoles spéciales pour officiers sont ouvertes à Brest et Toulon.
Mais ces efforts ne peuvent donner de résultat qu’à long terme et l’ennemi conserve la maîtrise des mers tout au long de l’Empire. La guerre de courses, relancée en 1806, échoue à en desserrer l’étreinte. Le blocus continental reste alors la seule solution pour abattre l’Angleterre, avec toutes les conséquences géo-stratégiques qui en découlent et qui finiront par miner l’Empire et le mener lui-même au désastre.
En 1814, la France n’a plus de colonie, plus de flotte marchande et les Britanniques, en s’assurant le monopole du commerce, sont devenus la première puissance du monde et se sont montrés capables de financer aussi longtemps que nécessaire la lutte des monarques européens contre la France et son Empereur.
Carte de la bataille de Trafalgar
Tableau - "The Battle of Trafalgar in 1805". Peint en 1836 par William Clarkson Stanfield.
Quelques instants avant la bataille, Nelson rédigea un codicille à son testament dans lequel il réclamait une récompense pour les services rendus par Lady Hamilton à la couronne et le droit de porter son nom pour sa fille adoptive.
Conformément à ses volontés, le corps de Nelson ne fut pas inhumé en mer. Il fut ramené en Angleterre, conservé dans un tonneau de brandy, et des obsèques nationales lui furent faites.
Villeneuve se suicida le 21 avril 1806, peu après son retour de captivité. C’était à Rennes, 21 rue des Foulons, dans une chambre de l’hôtel de la Patrie. Il avait remis le pied sur le sol français quatre jours plus tôt.
Le bruit de son assassinat circula avec insistance pendant des années, renforcé par la parution en 1825 des Mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite. Ce dernier se donna pour avoir été quasiment témoin du meurtre, commis selon lui par une bande dont le chef, croisé par hasard à Paris quelques semaines plus tard, portait alors un uniforme d’officier de marine.
Pour faire bonne mesure, ce Guillemard prétendait également être l’auteur du coup de fusil fatal à Nelson. En 1830, un nommé Joseph Alexandre Lardier, ancien marin, membre de l’Académie du Var et futur journaliste en Algérie, avouera être l’auteur de ces Mémoires apocryphes qui n’étaient donc qu’une fiction (avec peut être la collaboration de Charles-Ogé Barbaroux). Cet aveu de l’auteur ne parviendra jamais à détruire tout à fait les légendes que son ouvrage avait fait naître ou contribué à répandre. De nos jours encore, Guillemard est parfois cité comme le meurtrier de Nelson et des voies de Six-Fours, Toulon et Paris perpétuent son nom et le souvenir de son exploit !
Le 13 septembre 1809, un conseil d’enquête composé de marins n’ayant jamais mené d’escadre au combat, conclut que l’amiral Dumanoir avait manoeuvré durant la bataille de Trafalgar conformément aux signaux, au devoir et à l’honneur. Le même conseil, le 29 décembre suivant, lui imputa un manque de décision lors des journées des 2, 3 et 4 novembre 1805. Toutefois, un conseil de guerre présidé par l’amiral Ganteaume l’acquitta pour ces mêmes faits le 8 mars 1810, déclarant qu’il avait rempli tous ses devoirs et que ses manoeuvres ne pouvaient être blâmées.
Deux vaisseaux nommés Swiftsure ont participé à la bataille : l’un français (il s’agissait en fait du navire britannique HMS Swiftsure, qui avait combattu à Aboukir, puis avait été capturé en 1800 en Méditerranée et intégré à la flotte française sans être rebaptisé), l’autre anglais, lancé en 1804.
Liste des batailles navales des guerres de la Révolution et de l'Empire.Témoignages
[...]
Quoique la perte du vaisseau le Redoutable fasse partie de la défaite qu'a éprouvée l'armée combinée de France et d'Espagne et de la sanglante affaire de Trafalgar, le combat particulier de ce vaisseau n'en mérite pas moins, je pense, une place distinguée dans les annales de la marine française.
Je dois à la mémoire des braves qui ont péri dans ce terrible combat ou qui ont été ensevelis dans les débris du Redoutable lorsqu'il a coulé à fond, je dois à la gloire du petit nombre qui a échappé à cet inexprimable carnage, de mettre sous les yeux de Votre Excellence, le tableau de leurs exploits, les efforts de leur valeur et surtout l'expression de leur amour et de leur attachement pour Sa Majesté, dont le nom, répété mille fois avec le plus vif enthousiasme, semblait les rendre invincibles.
Rien ne peut égaler l'ardeur de ces héros lorsque je leur annonçai que nous allions aborder l'amiral anglais ; jamais l'intrépide Nelson ne pouvait succomber sous des ennemis plus dignes de son courage et de sa grande réputation, je n'entreprendrai pas par ce rapport de faire connaître le mouvement des deux armées pendant toute l'action; je ne distinguais qu'à peine et par intervalle les vaisseaux qui m'avoisinaient. Je ne pense citer que les manœuvres qui ont précédé l'engagement et une partie de celles qui ont terminé cette malheureuse affaire : mais j'entrerai dans tous les détails et circonstances de combat du vaisseau le Redoutable avec le vaisseau le Victory et le Téméraire de cent dix canons et un autre vaisseau à deux batteries dont j'ignore précisément la force et le nom.
Le 20 vendémiaire an XIV, l'armée combinée mit à la voile de la baie de Cadix avec un vent S., d'abord faible, ensuite joli frais. Elle était composée de trente-trois vaisseaux, dont dix-huit français et quinze espagnols, de cinq frégates et de deux bricks français; à peine fut-elle dehors que les vents devinrent S.-O. très frais par grains. L'amiral fit prendre des ris, plusieurs vaisseaux espagnols furent très lents dans cette opération ce qui les fit tomber beaucoup sous le vent.
Lorsqu'on eut achevé, l'armée fut sans ordres, les amures à bâbord, le vaisseau le Redoutable était dans les eaux du Bucentaure (vaisseau amiral) à petite distance, lorsque vers midi l'amiral signala un homme tombé à la mer, je mis sur-le-champ en panne et un canot à la mer qui le sauva. J'en fis de suite le signal et peu de temps après je repris mon poste.
A une heure après-midi, le vent ayant passé à l'O., l'amiral fit signal de virer de bord tous à la fois. L'évolution terminée, il signala l'ordre de marche sur trois colonnes les amures à tribord, il prévint qu'il allait passer au centre de la sienne.
Le Redoutable comme chef de file de la 1e escadre dut prendre la tête de la colonne du centre : je manœuvrai en conséquence.
Toute l'après-midi se passa sans qu'on fût parvenu à former cet ordre quoique l'amiral signalât à plusieurs vaisseaux de prendre leur poste, à sept heures du soir le vent était beaucoup moins fort, mais la mer un peu houleuse de l'O. ; l'armée gouvernait au S.-S.-O. , je signalais à l'amiral que j'apercevais une escadre ou une flotte ennemie au vent, elle ne paraissait pas très éloignée, les bâtiments de cette escadre faisaient une grande quantité de signaux remarquables par la beauté et l'éclat des feux colorés qu'ils employaient.
Vers les neuf heures du soir l'amiral signala de former l'ordre de bataille sans avoir égard aux postes. Pour exécuter ce mouvement, les bâtiments les plus sous le vent devaient mettre un feu à chaque mât pour marquer leur position, j'ignore si cette précaution fut prise mais il fut impossible de les apercevoir, l'armée étant très dispersée. Les vaisseaux de la ligne de bataille et ceux de l'escadre d'observation se trouvaient confondus. Tous les bâtiments ayant répété les signaux, il ne fut plus possible de reconnaître l'amiral, je suivis alors le mouvement de plusieurs autres qui arrivèrent pour rallier ceux qui étaient sous le vent.
Vers les onze heures du soir, je me trouvai près de l'amiral Gravina qui, avec cinq ou six vaisseaux, commençait à former une ligne de bataille. Après avoir demandé le nom du Redoutable il m'ordonna de prendre poste dans cette ligne, je le priai de me laisser prendre la tête, il me le permit, je m'y plaçai aussitôt. Les vents étaient toujours de la même partie, nous avions les amures tribord. Tous les vaisseaux étaient en branle-bas, l'amiral en avait donné l'ordre immédiatement après l'appareillage. Tout était parfaitement disposé à bord du Redoutable et comme j'avais la certitude d'un engagement pour le lendemain, je fis coucher la plus grande partie des officiers et de l'équipage pour les avoir plus dispos.
Quelques jours avant notre départ de Cadix, chaque commandant avait reçu de l'amiral un ordre par écrit de mettre à la voile. Ce même ordre rappelait aux capitaines une lettre circulaire qui leur fut adressée à notre départ de Toulon et qui ferait connaître ses intentions en cas de rencontre de l'ennemi et la conduite que dans ce cas chaque vaisseau devait tenir. Il semblait dès lors que l'amiral avait prévu la manière dont nous serions attaqués, et si ses dispositions avaient été généralement suivies, vingt ou vingt-deux vaisseaux de l'armée combinée n'auraient pas eu à combattre toute l'armée anglaise forte de vingt-sept vaisseaux dont sept à trois ponts, et n'auraient pas succombé malgré des prodiges de valeur et la résistance la plus opiniâtre.
Le 21, au point du jour, on aperçut l'ennemi au vent, c'est-à-dire à l'O.-S.-O., il ventait peu et la mer était toujours houleuse, l'armée combinée était répandue à peu près O.-N.-O., ses vaisseaux étaient très dispersés et ne formaient qu'une ligne apparente, l'ennemi était aussi sans ordre, mais manœuvrait pour se rallier, sa force fut alors bien reconnue et on distinguait vingt-sept vaisseaux dont sept à trois ponts, quatre frégates et une goélette.
Vers les sept heures du matin, l'amiral signala de former la ligne de bataille dans l'ordre naturel, les amures à tribord : j'abandonnai alors la position que j'avais occupée une partie de la nuit et je virai de bord pour aller prendre celle qui m'était assignée dans la ligne de bataille, j'en étais fort éloigné, cependant à huit heures je parvins à prendre mon poste, à neuf heures l'ennemi se forma en deux pelotons, se couvrit de voiles , même de ses bonnettes et laissa arriver sur notre armée avec une petite brise de l'O.S-O. L'amiral jugeant que l'ennemi voulait porter ses efforts sur notre arrière-garde fit virer l'armée lof pour lof à la fois. Dans ce nouvel ordre le Redoutable dut se trouver le troisième dans les eaux du Bucentaure (vaisseau amiral) je m'empressai en conséquence de me mettre derrière ce vaisseau laissant entre lui et moi l'espace nécessaire aux deux vaisseaux qui devaient me précéder.
L'un n'était pas très éloigné de son poste et l'autre ne manœuvrait pas pour prendre le sien et se trouvait de beaucoup sous le vent de la ligne qui commençait à se former en avant de l'amiral. Vers les onze heures du matin les deux pelotons de l'armée ennemie approchaient de notre armée, précédés l'un du vaisseau à trois ponts, le Royal Souverain, monté par le vice-amiral Collingwood, l'autre par le Victory de la même force, monté par l'amiral Nelson, et le Téméraire, aussi de cent dix canons, manœuvrait pour attaquer notre corps de bataille.
A onze heures un quart les vaisseaux de notre arrière-garde commencèrent à tirer sur le Royal Souverain. Ce vaisseau nous envoya de loin quelques coups de canon auxquels je ne voulus pas répondre, j'étais toujours dans les eaux de l'amiral français, mais il restait entre lui et moi une distance que ne fermaient pas les deux vaisseaux qui devaient me précéder : l'un était trop sous le vent pour prendre son poste et l'autre, que j'ai dit n'en être pas très éloigné, s'en était beaucoup écarté en arrivant pour tirer sur le Royal Souverain qui était à plus de demi-portée.
Le peloton conduit par l'amiral Nelson approchait de notre corps de bataille, les vaisseaux à trois ponts qui le précédaient manœuvraient ostensiblement pour envelopper le vaisseau amiral français ; l'un d'eux cherchait à lui passer en poupe. Aussitôt que j'eus reconnu cette intention, certain d'ailleurs que mes deux matelots ne pouvaient plus venir prendre leur poste, je fis mettre mon beaupré sur la poupe du Bucentaure, très décidé à sacrifier mon vaisseau pour la défense de l'amiral. Je fis part de cette intention à mes officiers et à l'équipage, qui répondirent par des cris répétés de « Vive l'amiral ! Vive le commandant! » accompagnés de tambours et fifres. Je fus à la tête de mes officiers parcourir les batteries, partout je trouvai des braves brûlant d'impatience de commencer le combat, plusieurs me dirent : « Commandant, n'oubliez pas l'abordage !»,
A onze heures l'armée ennemie arbora son pavillon. Celui du Redoutable le fut d'une manière imposante, les fifres et tambours battaient au drapeau, les mousquetaires présentaient les armes; il fit salué par l’état-major et l'équipage par set cris de !Vive l'Empereur !"
A 11 h 1/2 le peloton ennemi qui se dirigeait sur notre corps de bataille se trouve à portée: le vaisseau le Bucentaure et son matelot d'avant commencent le feu. Je fis monter sur le gaillard une grande partie des chefs de pièce, je leur fis remarquer combien nos vaisseaux tiraient mal, tous leurs coups portaient trop bas. Je les engageai à tirer à démâter et surtout à bien pointer.
A onze heures trois quarts, le Redoutable commença à tirer par un coup de canon de la 1e batterie qui coupa la vergue du petit hunier du vaisseau le Victory qui gouvernait sur le mât de misaine du Redoutable, alors des cris de joie retentirent dans toutes les batteries. Notre feu fut bien nourri; en moins de dix minutes le même vaisseau fut démâté de son mât d'artimon, de son petit mât de hune et de son grand mât de perroquet, je serrai toujours de si près le Bucentaure qu'on me cria plusieurs fois que j'osais l'aborder, effectivement, le beaupré du Redoutable toucha légèrement le couronnement de sa poupe, mais j'assurai qu'il n'y avait rien à craindre.
Les avaries du Victory ne changeaient rien à l'audacieuse manœuvre de l'amiral Nelson; il persistait toujours à vouloir couper la ligne en avant du Redoutable, enmenaçant de nous aborder si nous nous y opposions. La grande proximité de ce vaisseau suivi par le Téméraire, loin d'intimider notre équipage, ne fit qu'augmenter son courage et pour prouver à l'amiral anglais que nous ne redoutions pas son abordage, je fis hisser les grappins à toutes les vergues.
Enfin le vaisseau Victory, n'ayant pu parvenir à passer en poupe de l'amiral français, nous aborda de long en long, nous débordant de l'arrière de manière que notre dunette se trouvait par le travers, et à la hauteur de son gaillard d'arrière.
Dans cette position les grappins furent jetés à son bord, ceux de derrière furent coupés, mais ceux d'avant résistèrent, nos bordées furent déchargées à bout touchant. Il en résultat un carnage horrible. Nous continuâmes à nous canonner pendant quelque temps; nous parvenions avec les écouvillons à corde à charger quelques pièces, plusieurs furent tirées à longueur de brague ne pouvant les palanquer aux sabords qui étaient masqués par les flancs du Victory; et par les moyens de nos armes á feu, dans nos batteries,nous empêchions tellement l'ennemi de charger les siens, qu'il avait cessé de tirer sur nous.
Quel jour de gloire pour le Redoutable, s'il n'eût eu à combattre que le Victory ! Enfin, les batteries de ce vaisseau, ne pouvait plus nous riposter.
Je m'aperçus que l'équipage de ce vaisseau se disposait à venir à l'abordage : il se portait en foule sur les gaillards. Je fis sonner la trompette, signal reconnu dans nos exercices pour appeler les divisions d'abordage; elles montèrent avec un tel ordre, les officiers et aspirants à la tête de leurs compagnies, qu'on eut dit que ce n'était qu'un simulacre. En moins d'une minute nos gaillards furent couvert d'hommes armés qui se dispersèrent sur la dunette, sur les bastingages et dans les haubans; il me fut impossible de remarquer les plus braves.
Alors il s'engagea un vif combat vif de mousqueterie dans lequel l'amiral Nelson combattait à la tête de son équipage. Notre feu devint tellement supérieur à celui de l'ennemi, qu'en moins de quinze minutes nous fîmes taire celui du Victory : plus de deux cents grenades furent jetées à son bord avec le plus grand succès; ses gaillards furent jonchés de morts et de blessés.
L'amiral Nelson fut tué par le feu de notre mousqueterie; presque aussitôt, ses gaillards furent évacués et son vaisseau cessa absolument de nous combattre; mais il était difficile de passer à son bord à cause du mouvement des vaisseaux et de l'élévation de sa troisième batterie. J'ordonnai de couper les suspentes de la grande vergue et de l'amener pour servir de pont. L'aspirant Yon et quatre matelots, à l'aide de l'ancre du Victory, parvinrent à son bord et nous prévinrent qu'il n'y avait personne dans ses batteries, mais à l'instant où nos braves allaient se précipiter pour les suivre, le vaisseau à trois ponts le Téméraire, qui sans doute s'était aperçu que le Victory ne combattait plus et qu'il allait infailliblement être pris, vint à toutes voiles nous aborder à tribord et nous cribler à bord touchant du feu de toute son artillerie.
Il serait impossible d'exprimer le carnage que produisit la bordée de ce vaisseau : plus de 200 de nos braves en furent tués ou blessés; je fus aussi blessé á ce même instant, mais pas assez grièvement pour me faire abandonner mon poste. Ne pouvant plus alors rien entreprendre contre le Victory, j'ordonnai au reste de l'équipage de se porter promptement dans les batteries et de décharger sur le Téméraire les canons de tribord qui n'avaient pas été démontés par l'abordage de ce vaisseau. Cet ordre fut exécuté, mais nous étions tellement affaiblis et il nous restait si peu de pièces en état de servir que le Téméraire nous ripostait avec beaucoup d'avantage.
Peu de temps après, un autre vaisseau à deux batteries dont j'ignore précisément la force, vint se Placer en poupe du Redoutable et nous canonner à portée de pistolet. En moins d'une demi-heure notre vaisseau fut tellement criblé qu'il ne présentait plus qu'un monceau de débris : dans cet état le Téméraire nous héla de nous rendre et de ne pas prolonger une résistance inutile. J'ordonnai à quelques soldats qui étaient près de moi de répondre à cette sommation par des coups de fusils, ce qui fut exécuté avec le plus grand empressement.
A peu près dans le même instant notre grand mât tomba en travers sur le vaisseau anglais le Téméraire : les deux mâts de hune de ce vaisseau tombèrent à bord du Redoutable; toute la poupe fut défoncée, la mèche du gouvernail, la barre, les deux tamisailles, l'étambot, les barres d'arcasse et d'hourdi, les jambettes de voûte, furent mises en lambeaux; les ponts étaient tout percés par les boulets du Téméraire et du Victory; toute l'artillerie fut brisée ou démontée par les boulets ou les abordages de ces deux vaisseaux. Un canon de 18 de la 2e batterie et une caronade de 36 du gaillard d'avant ayant crevé nous tuèrent et blessèrent beaucoup de monde. Les deux côtés du vaisseau, tous les mantelets de sabord et les barrots étaient entièrement hachés; quatre de nos six pompes étaient brisées ainsi que toutes nos échelles, en sorte que les communications entre les batteries et les gaillards étaient devenues extrêmement difficiles.
Tous nos ponts étaient couverts de morts ensevelis sous les débris et les éclats des différentes parties du vaisseau. Une grande quantité des blessés furent tués dans le faux-pont. Sur 645 hommes d'équipage, nous en avions 522 hors de combat, dont 300 de tués et 222 blessés, parmi lesquels se trouvait la presque totalité de l'état-major. Sur les 121 qui restaient, une grande partie était employée au passage des poudres dans le faux-pont et dans la cale à eau, de sorte que les gaillards et les batteries étaient absolument déserts, et que nous ne pouvions plus, par conséquent, apporter aucune résistance.
Quiconque n'a pas vu dans cet état le vaisseau le Redoutable ne pourra jamais se former une idée de son désastre; je ne connais rien à bord qui n'ait été coupé par les boulets. Au milieu de cet horrible carnage les braves qui n'avaient pas encore succombé et ceux blessés dont le faux-pont était encombré s'écriaient encore : « Vive l'Empereur ! Nous ne sommes pas encore pris : le commandant existe-t-il encore ? » Dans cet état, le feu prit à la braye de notre gouvernail, ce qui heureusement n'eut point de suite; on parvint à l'éteindre.
Le vaisseau le Victory ne combattait point : il s'occupait seulement à se dégager du Redoutable, mais nous étions criblés par le feu du Téméraire avec lequel nous étions toujours abordés et du vaisseau qui nous canonnait en poupe. Ne pouvant nullement riposter et ne voyant aucun de nos vaisseaux venir à notre secours (ils étaient tous très éloignés sous le vent) je n'attendais plus pour me rendre que la certitude que les voies d'eau fussent assez considérables pour qu'il ne tardât pas à couler à fond.
A l'instant où l'on m'en donna l'assurance, j'ordonnai d'amener le pavillon; il vint en bas lui-même par la chute du mât d'artimon. Nous fûmes alors abandonnés du vaisseau qui nous canonnait en poupe. Mais le Téméraire continua encore à tirer sur nous pendant quelque temps et il ne cessa qu'à cause de la nécessité où il se trouva d'éteindre le feu qui prit à son bord. Il était environ 2 h 1/2 de l'après-midi.
Peu de temps après, les vaisseaux le Victory, le Redoutable et le Téméraire toujours fortement liés par les mâtures qui étaient tombées réciproquement d'un vaisseau sur l'autre , d'ailleurs tous trois privés de l'usage de leur gouvernail, formaient un groupe qui dérivait au gré du vent et fut involontairement jeté sur le vaisseau le Fougueux; celui-ci ayant combattu contre plusieurs vaisseaux ennemis qui l'avaient ensuite abandonné, n'avait point encore amené son pavillon. Ce vaisseau, entièrement dégréé, en partie démonté et ne gouvernant plus, s'aborda avec le vaisseau Téméraire, était hors d'état d'opposer une forte résistance. Néanmoins, le brave capitaine Baudouin voulu tenter de nouveau efforts, mais ayant été tué en cherchant encore à se défendre, et son second ayant été blessé presque au même instant, le vaisseau le Téméraire fit sauter à son bord quelques hommes de son équipage, qui s'emparèrent de ce vaisseau.
L'ennemi ne faisait aucun mouvement pour amariner le Redoutable, dont les voies d'eau étaient tellement considérables que je craignis qu'il ne coulât avant qu'on eût pu en retirer les blessés. Je représentai cette situation au vaisseau le Téméraire, en lui faisant observer que, s'il tardait davantage à faire passer des hommes de son équipage pour pomper et nous porter des secours urgents, il ne restait plus qu'à mettre le feu au Redoutable dont l'incendie entraînerait celui du Téméraire et du Victory.
Sur-le-champ deux officiers et quelques soldats et matelots du Téméraire vinrent à notre bord pour prendre possession du vaisseau; mais à l'instant où l'un des marins anglais mettait le pied dans le sabord de la seconde batterie du Redoutable, un de nos matelots, qui était déjà blessé d'une balle à la cuisse, se saisit d'un mousqueton armé d'une baïonnette et fondit sur lui avec fureur en disant : « Il faut encore que j'en tue un ! »; il lui passa la baïonnette dans la hanche et le fit tomber entre les deux vaisseaux. Malgré cet événement, je parvins à retenir à bord les Anglais qui voulaient repasser sur leur bord.
Vers les trois heures quelques vaisseaux de notre avant-garde qui tenaient le vent tribord amures pour s'éloigner du champ de bataille, sans cependant paraître dégréés, tirèrent de fort loin sur notre groupe quelques coups de canon; quelques-uns de leurs boulets tombèrent à bord du Redoutable et l'un des officiers anglais venus auprès de moi eut une cuisse emportée et ne tarda pas à mourir.
Sur les 3 h 1/2, le Victory se sépara du Redoutable, mais tellement délabré qu'il était hors d'état de combattre. Ce ne fut que vers les 7 heures du soir que l'On parvint à séparer le Redoutable du Téméraire, qui resta encore abordé avec le Fougueux. Nous ne fûmes point amarinés, mais le vaisseau anglais le Swiftsure vint nous prendre à la remorque. On fit jouer la nuit les deux pompes qui nous restaient, sans pouvoir cependant entretenir l'eau, quoique la mer fût belle. Le petit nombre de Français en état d'agir se joignit aux Anglais pour pomper, aveugler quelques voies d'eau, placarder les sabords, épontiller la poupe du vaisseau qui était prête à s'écrouler, enfin nul ne fut plus ardent au travail.
Au milieu de tous les travaux et de l'horrible désordre du vaisseau le Redoutable, qui flottait à peine, parmi les décombres et les morts dont les batteries étaient parsemées, je m'aperçus que quelques-uns de nos braves et particulièrement de nos jeunes aspirants dont plusieurs étaient blessés ramassaient des armes qu'ils cachaient dans le faux-pont, dans l'intention, disaient-ils, d'enlever le Redoutable. Jamais autant de traits d'intrépidité. de valeur et d'audace ne furent déployés à bord du même vaisseau et jamais l'histoire de la marine n'offrit d'exemple semblable.
Le lendemain matin, le capitaine du Swiftsure m'envoya prendre à bord par un canot, ainsi que le lieutenant de vaisseau Dupotet, mon second, et l'enseigne Ducrest; nous fûmes conduits à bord de ce vaisseau.
A midi, le Redoutable démâta de son mât de misaine, le seul qui lui restait; à 5 heures du soir l'eau continuant à gagner les pompes, le capitaine de prise demanda du secours et toutes les embarcations du Swiftsure furent mises à l'eau pour sauver le monde. Il ventait bon frais et la mer était grosse, ce qui rendait très difficile l'embarquement des blessés; ces malheureux voyant que le vaisseau allait être englouti, s'étaient presque tous traînés sur le gaillard d'arrière ; on parvint à en sauver quelques-uns.
A 7 heures du soir, la poupe s'étant entièrement écroulée, le Redoutable coula à fond avec la majeure partie de ces infortunés que leur courage avait rendus dignes d'un meilleur sort. Le lendemain au point du jour, le capitaine du Swiftsure ayant aperçu de loin plusieurs hommes sur des bômes les envoya chercher; ils étaient au nombre de 50, presque tous blessés.
169 hommes formant le reste du valeureux équipage du Redoutable se trouvèrent alors réunis à bord du vaisseau anglais ; sur cette quantité, 70 étaient grièvement blessés et 64 avaient de légères blessures. Tous ces blessés furent envoyés à Cadix sur un parlementaire, de manière que 35 hommes seulement furent conduits en Angleterre comme prisonniers de guerre.
Les résultats du combat du vaisseau le Redoutable sont : la perte de ce vaisseau et la destruction des trois quarts de son équipage; mais seul pendant toute l'action, il a occupé les vaisseaux à trois ponts le Victory et le Téméraire et a, de cette manière, attiré la surveillance, les combinaisons, les ordres d'agir suivant les circonstances, de l'amiral Nelson qui, lui-même engagé dans ce combat particulier, ne put que se livrer à l'excès de son courage. L'Angleterre a perdu le héros de sa marine, qui est tombé sous les coups des braves du Redoutable. Plus de 300 hommes, dont plusieurs officiers de marque, furent mis hors de combat à bord des vaisseaux ennemis. Le Victory a été démâté, dans l'action, de son mât d'artimon, de son mât de hune et de son grand mât de perroquet ; en général, toutes ses vergues ont été brisées ainsi que la barre de la roue du gouvernail. Le Téméraire a perdu ses deux basses-vergues, ses deux mâts de hune; son gouvernail et son étambot ont été hachés par les canons de notre 1e batterie; enfin les deux vaisseaux ont été renvoyés en Angleterre pour y changer toute leur mâture et y recevoir de fortes réparations.
Je joins à ce rapport un état de la situation de l'équipage du vaisseau le Redoutable avant et après le combat, état qui fera connaître les pertes d'hommes dans chaque classe; j'y joins aussi une liste nominative des officiers qui composaient l'état-major et des aspirants de ce vaisseau.
Les éloges que je dois à tous ces braves sont au-dessus de toute expression. Quiconque n'aura pas vu ces valeureux officiers et ces jeunes aspirants conduisant nos colonnes d'abordage à l'ennemi aura peine à se former une juste idée de leur bouillante ardeur et de leur intrépide audace; partout à la tête des braves de l'équipage que chacun commandait debout sur les bastingages, les uns armés de sabres et de pistolets, les autres de mousquetons, tous dirigeaient les feux de mousqueterie et le jet des grenades. Dans cette circonstance, les officiers de mer et de terre, les matelots et les soldats semblaient rivaliser de courage sans pouvoir se surpasser; aussi n'est-ce qu'en présentant la liste général de ces guerriers que je puis désigner les plus méritants.
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Lucas, capitaine de vaisseau, commandant le Redoutable.
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