Date et lieu
- 21 et 22 mai 1809 au nord de la Lobau, zone marécageuse du Danube près de Vienne, en Autriche.
Forces en présence
- Armée française (35 000 hommes le 21 mai ; 60 000 le 22) sous le commandement de l'Empereur Napoléon 1er.
- Armée autrichienne (environ 100 000 hommes) sous les ordres de l'archiduc Charles Louis d'Autriche, duc de Teschen.
Pertes
- Armée française : autour de 6 000 tués, dont le maréchal Jean Lannes, 20 000 blessés et prisonniers.
- Armée autrichienne : plus de 24 000 hommes hors de combat (morts, blessés, prisonniers).
À Essling, Napoléon subit son premier échec personnel. La défaite est évitée grâce à la maestria de Masséna mais les Français doivent abandonner le terrain. Les pertes sont énormes. Le maréchal Lannes, mortellement blessé, est la victime la plus illustre de la journée.
Situation préalable
Le début de la campagne voit Napoléon repousser l'archiduc Charles d'Autriche sur la rive nord du Danube [Die Donau] et s'emparer rapidement de Vienne [Wien]. Mais l'Autriche, qui dispose encore de forces suffisantes pour continuer la lutte, refuse de signer la paix.
L'Empereur des Français, lui, sait que le temps ne joue pas en sa faveur. Sa situation deviendra difficile si la campagne se prolonge. En effet, l'archiduc Jean d'Autriche, qui a été refoulé d'Italie par le prince Eugène de Beauharnais et le général Étienne Macdonald, peut à tout moment faire sa jonction avec son frère Charles, apportant avec lui un renfort de 40 à 50 000 hommes.
Afin d'obtenir au plus vite une victoire décisive, Napoléon décide donc de passer le Danube et d'attaquer l'armée autrichienne, positionnée à cinq kilomètres au nord-est de la capitale, près de Bisamberg . Persuadé qu'elle est sur le point de se retirer, il prévoit de se jeter sur sa ligne de retraite et n'envisage pas un instant la possibilité d'une contre-attaque.
Les ponts ayant été détruits par l'archiduc Charles, l'Empereur, après une première tentative au nord de Vienne, à Nüssdorf, choisit finalement de traverser non loin de Kaiser-Ebersdorf (juste à l'est de la capitale) en s'appuyant sur l'île de Lobau [48.18698, 16.51967]. Celle-ci, qui divise le Danube en plusieurs bras, a l'avantage d'être à la fois d'une taille suffisante pour accueillir l'armée et assez boisée pour la dissimuler à la vue de l'ennemi.
En outre, le bras le plus large (sept cents mètres) se trouve au sud, du côté du fleuve tenu par les Français, et les deux petites îles de Schneidergrund et Lobgrund en facilitent le passage tandis que le bras nord (cent cinquante mètres) est situé de telle façon que la construction d'un pont peut s'y faire sous la protection de l'artillerie.
Dès le 18 mai, la division de Gabriel Molitor s'empare de l'île de Lobau, dans laquelle elle est transportée par bateaux.
Le chantier proprement dit est entamé le 19, sous la supervision de Napoléon lui-même, et tous les hommes, y compris les officiers, participent à la construction. L'essentiel étant de se hâter, pour prendre de vitesse l'ennemi, les solutions de fortune sont privilégiées ; elles se révéleront parfois insuffisantes.
Chacun est pourtant conscient que le maintien de ces ponts en bon état est une nécessité stratégique et demande une attention sans défaut. L'alerte survenue le 20 mai, quand un navire a heurté les ponts, provoquant de longs retards dans le transfert des troupes, a encore souligné les dangers de la situation. Pourtant, Napoléon choisit de sous-estimer la puissance du fleuve et les risques qu'elle représente. Il tente un pari, qu'il va perdre.
21 mai
Dans la nuit du 19 au 20 mai 1809, les divisions du IVe Corps du maréchal André Masséna et la cavalerie de Jean Baptiste Bessières passent dans l'île de Lobau puis, la nuit suivante, commencent à se transporter sur la rive gauche par un pont jeté en trois heures sur le petit bras. Quelques dommages éprouvés par les ponts empêchent le IIe Corps de Jean Lannes et la moitié de la cavalerie de la garde de passer le même jour. Le IIIe Corps de Louis-Nicolas Davout est à une marche en arrière de Vienne.
Le 21 au matin, tandis que les divisions de Claude-Juste-Alexandre Legrand et de Claude Carra Saint-Cyr restent en réserve, la division Molitor occupe Aspern (village d'une centaine de maisons, à l'ouest), la division Boudet tient Essling (comptant une cinquantaine de maisons, à l'est) et les cavaliers de Charles Louis de Lasalle et Bessières couvrent la campagne entre les deux villages, qui forment comme deux bastions.
Chargé de reconnaître le terrain mais bridé par des ordres qui lui imposent de ne pas trop entrer en contact avec l'ennemi pour éviter un retour offensif de celui-ci, Lassalle ne s'aperçoit pas de l'importance des forces autrichiennes auxquelles les Français font face. Croyant avoir sécurisé leur tête de pont, ces derniers poursuivent donc la traversée.
L'archiduc Charles laisse faire. Il attend le moment où les Français seront assez nombreux pour mériter une attaque mais trop peu pour y résister.
Au cours de la matinée et du début d'après-midi, le reste du IVe Corps et la division de cuirassiers du général Jean Louis Brigitte Espagne passent successivement sur la rive gauche (nord) du Danube. A ce moment, ce sont moins de 40 000 français qui sont ont pris pied au sud de l'immense plaine de Marchfeld , qui s'étend du Bisamberg à l'ouest jusqu'à Presbourg [Bratislava] à l'est et aux monts Carpathes.
L'armée principale autrichienne, forte, elle, de plus de 90 000 hommes, lance sa contre-attaque en milieu de journée. De l'ouest de Wagram , où elle est concentrée, partent simultanément cinq colonnes :
- les trois premières (sous Johann von Hiller , Heinrich von Bellegarde et Friedrich Franz Xaver von Hohenzollern-Hechingen ) doivent longer la rive nord du Danube, vers Aspern ;
- La quatrième colonne (sous Franz Seraph von Orsini-Rosenberg ) se dirige vers Essling ;
- la cinquième (sous Ludwig Aloysius von Hohenlohe-Waldenburg-Bartenstein ) à l'est d'Essling, à Gross-Enzersdorf .
Ces colonnes doivent s'emparer de ces villages, puis converger sur les débouchés du pont et couper les Français de leur base. Isolés sur la rive nord, encerclés, ces derniers ne pourront que succomber sous le poids de l'immense supériorité numérique autrichienne.
Les Autrichiens, conformément au plan de l'archiduc Charles, font converger leurs colonnes sur Aspern et écrasent la position sous le feu de 90 puis de 130 canons. Dès 14 heures 30, le village est en flammes mais deux heures plus tard, la division Molitor, dirigée par Masséna, y résiste toujours. Il faut l'intervention de l'archiduc en personne pour que les Autrichiens réussissent enfin à s'en emparer.
Face au danger représenté par cette perte, Masséna adjoint la division Legrand aux débris de la division Molitor et ceux-ci, expulsés à la tombée de la nuit par des forces cinq fois plus nombreuses que les leurs, réoccupent aussitôt une partie du village, jusqu'au cimetière autour duquel le combat a été tout au long du jour d'une opiniâtre férocité.
Du côté d'Eßling, la seule division Boudet, sous les ordres du maréchal Lannes dont les troupes ne sont pas encore arrivées, perd le poste avancé d'Enzersdorf à 16 heures mais parvient elle aussi à tenir le reste de sa position face à des assaillants considérablement plus nombreux. Le soir venu, le duc de Montebello tient toujours dans un village incendié par les obus et écrasé sous les bombes.
Pour tenter de soulager la pression supportée par l'infanterie dans ces villages, Napoléon ordonne durant la journée plusieurs charges de cavalerie sur l'infanterie et l'artillerie autrichiennes. Lassalle et Jacob François Marulaz au centre, Espagne autour d'Essling mènent ces actions qui se révèlent coûteuses en hommes mais permettent de gagner du temps pendant que de nouvelles troupes franchissent le fleuve.
Car pendant le combat, la traversée continue. Un flot soutenu de soldats français emprunte des ponts de plus en plus précaires, depuis que le fleuve est en proie à une crue. L'eau monte et le courant s'accélère. Les objets que les autrichiens jettent dans le Danube viennent percuter les ouvrages français avec une force redoublée, provoquant des ruptures qu'il faut à plusieurs reprises réparer au prix d'efforts colossaux.
Nuit du 21 au 22 mai
Maître de sa tête de pont, Napoléon décide de considérer l'attaque de l'archiduc Charles comme une opportunité d'obtenir la bataille générale que l'Empereur appelle de ses voeux. Il profite donc de la nuit pour faire traverser le IIe Corps du maréchal Lannes, la Garde et les cuirassiers de Raymond Gaspard de Bonardi de Saint-Sulpice et d'Étienne Marie Antoine Champion de Nansouty, réduisant d'autant son infériorité numérique.
22 mai
Les hostilités s'ouvrent dès l'aube, vers quatre heures du matin. Le débouché du pont reste le point névralgique des combats. Pour en rester maîtres, les Français doivent reprendre Aspern , ce qui est chose faite à sept heures quand ils occupent enfin définitivement le cimetière, après que le village a changé quatre fois de mains ; pour s'en emparer, les Autrichiens attaquent Essling à trois reprises et contrôlent la partie basse du village vers la même heure, cherchant de là à déborder par le sud pour atteindre le pont. Lasalle et les cuirassiers repoussent cette menace.
Napoléon, qui dispose maintenant de 55 à 60 000 hommes, reprend alors l'offensive au centre. Selon son plan, le IIe Corps de Lannes et la réserve de cavalerie sous Bessières, que viendront renforcer en cours de journée le IIIe Corps de Davout et un appui d'artillerie toujours croissant, doivent percer en son milieu un dispositif ennemi qui s'est concentré sur ses ailes puis se rabattre sur celles-ci et les anéantir.
L'événement se conforme d'abord au plan impérial. Le centre autrichien rompt entre Rosenberg et Hohenzollern ; le quartier-général de Charles, à Breitenlee est même menacé. La victoire est à portée de main quand une autre rupture interrompt l'offensive : celle, définitive, des ponts sur les deux premiers bras du Danube. Les brûlots et autres bateaux chargés de pierres lancés par les Autrichiens, conjugués à l'absence de protection et à la violence exceptionnelle du courant, en ont eu raison. Davout et son IIIe Corps, le reste des réserves, les munitions, le ravitaillement, tout est bloqué sur la rive droite, pour un ou deux jours au moins.
La bataille ne peut plus être gagnée ; bien au contraire, il faut désormais faire face à une situation désespérée. Napoléon donne l'ordre d'interrompre l'attaque et de se replier en ordre jusqu'à la tête de pont. L'archiduc exploite de son mieux les circonstances soudain favorables. Un bombardement intensif précède une attaque générale déclenchée à onze heures.
Charles engage sa réserve et mène de sa personne les assauts, l'étendard à la main. Vers midi, les Autrichiens parviennent à tourner Aspern du côté de Stadlau mais Masséna, à la tête d'une division Molitor réduite à la taille d'une brigade, arrête leur mouvement. La bataille se fixe comme la veille sur les deux villages qui sont pris et repris à plusieurs reprises.
Se voyant incapable de rompre les ailes des Français, Charles tente à son tour de percer leur centre. Hohenzollern, renforcé de douze bataillons de grenadiers et de la cavalerie autrichienne, marche sur le front tenu par Lannes. Sans succès. L'archiduc se met lui-même à la tête des assaillants sans plus de réussite. Il change alors à nouveau son plan, et se porte sur Essling, dont il s'empare.
Napoléon envoie le général Mouton et sa garde reprendre cette position, dont la perte peut rendre la retraite impossible. Là, comme à Aspern, on se bat dans le cimetière et jusque dans les greniers . Les grenadiers autrichiens sont, pour finir, délogés.
Incapables désormais d'avancer, les Autrichiens écrasent sous leurs bombes des Français qui ne peuvent faire autrement que de subir le feu ennemi. Une retraite immédiate pourrait rapidement tourner au désastre. Il faut attendre la nuit et tenir jusque là en se contentant de reculer lentement jusqu'au pont et de desserrer l'étreinte de temps à autre par quelques charges de cavalerie.
Cette décision sauve peut-être l'armée mais coûte la vie au maréchal Lannes, atteint vers 18 heures par un boulet qui lui broie la cuisse. Il mourra une dizaine de jours plus tard des suites de cette blessure.
A la tombée de la nuit, sous la direction de Masséna, les blessés puis le matériel et les chevaux sont ramenés sur l'île de Lobau . Le maréchal est l'un des derniers à traverser, vers cinq heures du matin, faisant détruire le pont derrière lui. Les survivants sont bloqués sur l'île jusqu'au 25, manquant de tout.
Après deux jours de combats acharnés, l'archiduc Charles se contente de ce demi-succès, jugeant, quant à lui, son armée trop épuisée pour pouvoir pousser son avantage. Poursuivre Napoléon dans son île ou passer sur la rive droite pour l'y bloquer lui paraissent deux options trop hasardeuses.
Bilan
Les pertes sont énormes. Côté français, le maréchal Lannes, trois généraux (Louis Charles Vincent Le Blond de Saint-Hilaire, Jean Louis Brigitte Espagne et Pierre Charles Pouzet) et près de 6 000 hommes ont été tués, 20 000 sont blessés ou prisonniers, ce qui représente au total autour de 45% des effectifs engagés.
Côté autrichien, l'archiduc Charles dénombre 4 000 morts et 16 000 blessés, minorant probablement la réalité. L'intensité des bombardements d'artillerie subis et les nombreux combats de rue qui se dont déroulés dans les villages, au corps à corps expliquent ce carnage. La division Molitor, au soir du 21 mai, est ainsi réduite de moitié.
L'importance des pertes signe d'ailleurs l'entrée dans une nouvelle phase, plus meurtrière, des guerres napoléoniennes au cours de laquelle l'importance croissante des effectifs engagés, l'usage de plus en plus intensif de l'artillerie et la réorganisation des armées ennemies sur des modèles mieux adaptés aux nouvelles réalités rend les succès plus difficiles et plus coûteux.
Conséquences
Elles sont surtout politiques car, à l'issue de ces deux journées, la situation militaire n'est guère différente de ce qu'elle était avant la bataille. Mais la propagande autrichienne, en s'emparant de ce qui est sans nul doute un échec pour le présenter comme la première défaite de Napoléon, écorne le mythe de invincibilité napoléonienne. Tout ce que l'Empereur compte d'ennemi en Europe s'en trouve politiquement et moralement renforcé.
Sur un plan plus strictement tactique, force est de constater que l'Empereur n'a pas atteint le but qu'il s'était fixé et va devoir se résigner à une prolongation de la campagne. En outre, au cours de cette bataille, il a dû, contrairement à ses habitudes, laisser le plus souvent l'initiative à la partie adverse, ne la regagnant que le matin du 22, entre la reprise des hostilités et la rupture du pont. En revanche, quelle autre armée, placée dans une telle situation, aurait pu éviter un complet désastre ?
Il faudra un mois de plus et des ponts plus solides pour qu'une nouvelle bataille, celle de Wagram, tranche définitivement le sort des armes, presque sur le même terrain.
Carte de la bataille d'Essling
Tableau - "Retour de Napoléon dans l'île de Lobau après la bataille d'Essling". Peint en 1812 par Charles Meynier.
La bataille d'Essling est parfois appelée "bataille d'Aspern-Essling" ou "bataille d'Aspern", en particulier dans les pays anglo-saxons.
Si la bataille d'Essling-Aspern est considérée par certains historiens comme la première défaite de Napoléon 1er et le début du déclin de son armée, invincible jusqu'alors, il est à noter cependant qu'elle figure sur la liste des victoires inscrites sur l'arc de triomphe de l'Étoile et que son nom a servi à illustrer l'un des plus fameux maréchaux de l'Empire, André Masséna.
Témoignages
Ebersdorf, 23 mai 1809.
Vis-à-vis Ebersdorf, le Danube est divisé en trois bras séparés par deux îles. De la rive droite à la première île il y a deux cent quarante toises ; cette île a à-peu-près mille toises de tour. De cette île à la grande île, où est le principal courant, le canal est de cent vingt toises. La grande île, appelée In-der-Lobau, a sept mille toises de tour, et le canal qui la sépare du continent a soixante-dix toises. Les premiers villages que l'on rencontre ensuite sont Gross-Aspern, Esling et Enzersdorf. Le passage d'une rivière comme le Danube devant un ennemi connaissant parfaitement les localités, et ayant les habitans pour lui, est une des plus grandes opérations de guerre qu'il soit possible de concevoir.
Le pont de la rive droite à la première île et celui de la première île à celle de In-der-Lobau ont été faits dans la journée du 19, et dès le 18 la division Molitor avait été jetée par des bateaux à rames, dans la grande île.
Le 20, l'empereur passa dans cette île, et fit établir un pont sur le dernier bras, entre Gross-Aspern et Esling. Ce bras n'ayant que soixante-dix toises, le pont n'exigea que quinze pontons, et fut jeté en trois heures par le colonel d'artillerie Aubry.
Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du maréchal duc de Rivoli, passa le premier dans un bateau sur la rive gauche.
La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.
Le 21, l'empereur, accompagné du prince de Neufchâtel et des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut la position de la rive gauche, et établit son champ de bataille, la droite au village d'Esling, et la gauche à celui de Gross-Aspern, qui furent sur le champ occupés.
Le 21, à quatre heures après midi, l'armée ennemie se montra et parut avoir le dessein de culbuter notre avant-garde et de la jeter dans le fleuve ; vain projet! Le maréchal duc de Rivoli fut le premier attaqué à Gross-Aspern, par le Corps du général Bellegarde. Il manoeuvra avec les divisions Molitor et Legrand, et pendant toute la soirée, fit tourner à la confusion de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises. Le duc de Montebello défendit le village d'Esling, et le maréchal duc d'Istrie, avec la cavalerie légère et la division de cuirassiers Espagne couvrit la plaine et protégea Enzersdorf. L'affaire fut vive ; l'ennemi déploya deux cents pièces de canon et à peu près quatre-vingt dix mille hommes composés des débris de tous les Corps de l'armée autrichienne.
La division de cuirassiers Espagne fit plusieurs belles charges, enfonça deux carrés et s'empara de quatorze pièces de canon. Un boulet tua le général Espagne, combattant glorieusement à la tête des troupes, officier brave, distingué et recommandable sous tous les points de vue. Le général de brigade Foulers fut tué dans une charge.
Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée par le général Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille vers la fin du jour. Cette brigade se distingua par plusieurs belles charges. A huit heures du soir le combat cessa, et nous restâmes entièrement maîtres du champ de bataille.
Pendant la nuit, le Corps du général Oudinot, la division Saint-Hilaire, deux brigades de cavalerie légère et le train d'artillerie passèrent les trois ponts.
Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Rivoli fut le premier engagé. L'ennemi fit successivement plusieurs attaques pour reprendre le village. Enfin, ennuyé de rester sur la défensive, le duc de Rivoli attaqua à son tour et culbuta l'ennemi. Le général de division Legrand s'est fait remarquer par ce sang-froid et cette intrépidité qui le distinguent. Le général de division Boudet, placé au village d'Esling, était chargé de défendre ce poste important.
Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la droite à la gauche, on conçut le projet de le percer par le centre. Le duc de Montebello se mit à la tête de l'attaque, ayant le général Oudinot à la gauche, la division Saint-Hilaire au centre et la division Boudet à la droite. Le centre de l'armée ennemie ne soutint pas les regards de nos troupes. Dans un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs belles charges, qui toutes eurent du succès. Trois colonnes d'infanterie ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées. C'en était fait de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept heures du matin, un aide-de-camp vint annoncer à l'empereur que la crue subite du Danube ayant mis à flot un grand nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les rives, dans les événements qui ont eu lieu lors de la prise de Vienne, les ponts qui communiquaient de la rive droite à la petite île, et de celle-ci à l'île de In-der-Lobau, venaient d'être rompus ; cette crue périodique, qui n'a ordinairement lieu qu'à la mi-juin, par la fonte des neiges, a été accélérée par la chaleur prématurée qui se fait sentir depuis quelques jours. Tous les parcs de réserve qui défilaient se trouvèrent retenus sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi qu'une partie de notre grosse cavalerie, et le Corps entier du maréchal duc d'Auerstaedt. Ce terrible contre-temps décida l'empereur à arrêter le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello de garder le champ de bataille qui avait été reconnu, et de prendre position, la gauche appuyée à un rideau qui couvrait le duc de Rivoli, et la droite à Esling.
Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre parc de réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était dans la plus épouvantable déroute, lorsqu'il apprit que nos ponts étaient rompus. Le ralentissement de notre feu et le mouvement concentré que faisait notre armée, ne lui laissaient aucun doute sur cet événement imprévu. Tous ses canons et ses équipages d'artillerie, qui étaient en retraite, se représentèrent sur la ligne, et depuis neuf heures du matin jusqu'à sept heures du soir, il fit des efforts inouïs, secondé par le feu de deux cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts tournèrent à sa honte ; il attaqua trois fois les villages d'Esling et de Gross-Aspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde, commandés par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi. Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui s'étaient déjà logés dans le cimetière du village d'Esling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial firent leurs premières armes dans cette journée, et montrèrent de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant la vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur d'airain, seul capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne. L'ennemi tira quarante mille coups de canon, tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances imprévues.
Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille. Sa perte est immense ; les militaires dont le coup d'oeil est le plus exercé ont évalué à plus de douze mille les morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu vingt-trois généraux et soixante officiers supérieurs tués ou blessés. Le feld-maréchal-lieutenant Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable ; nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc de Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet, le 22, sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger. Au premier moment on le crut mort. Transporté sur un brancard auprès de l'empereur, ses adieux furent touchans. Au milieu des sollicitudes de cette journée, l'empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient: « Il fallait, dit-il, que dans cette journée mon coeur fût frappé par un coup aussi sensible, pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée. » Le duc de Montebello avait perdu connaissance ; la présence de l'empereur le fit revenir ; il se jeta à son cou en lui disant: « Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami. »
Le général de division Saint-Hilaire a été blessé ; c'est un des généraux les plus distingués de la France.
Le général Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, a été enlevé par un boulet en portant un ordre.
Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent qu'à des Français.
Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis pendant la nuit. L'empereur a fait repasser le 23, à l'armée le petit bras de la rive gauche, et a fait prendre position dans l'île de In-der-Lobau, en gardant les têtes de pont.
On travaille à rétablir les ponts ; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne soient à l'abri des accidents des eaux, et même de tout ce que l'on pourrait tenter contre eux: l'élévation du fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux considérables et à de grandes précautions.
Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que l'empereur avait ordonné qu'elle repassât dans la grande île, l'étonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les rejoindre ; et quand on leur dit que les grandes eaux ayant rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient le renouvellement des munitions et des vivres impossible, et que tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader.
C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et par des cinquenelles, aient été enlevés ; mais c'est un grand bonheur que l'empereur ne l'ait pas appris deux heures plus tard ; l'armée poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée sans moyen de les renouveler.
Le 23, on a fait passer une grande quantité de vivres au camp d'In-der-Lobau.
La bataille d'Esling, dont il sera fait une relation plus détaillée qui fera connaître les braves qui se sont distingués, sera, aux yeux de la postérité, un nouveau monument de la gloire et de l'inébranlable fermeté de l'armée française.
Les maréchaux ducs de Montebello et de Rivoli ont montré dans cette journée tonte la force de leur caractère militaire.
L'empereur a donné le commandement du second Corps au comte Oudinot, général éprouvé dans cent combats, où il a montré autant d'intrépidité que de savoir.
Crédit photos
Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Marie-Albe Grau.
Photos par Floriane Grau.
Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
Photos par Didier Grau.
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