Lettre de Moncey au roi Louis XVIII
Désigné pour présider le conseil de guerre chargé de juger le maréchal Ney, Bon Adrien Jannot de Moncey se récuse et envoie cette lettre à Louis XVIII pour s'en expliquer :
de Moncey
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Sire, placé dans la cruelle alternative de désobéir à Votre Majesté ou de manquer à ma conscience, j'ai dû m'en expliquer à Votre Majesté ; je n'entre point dans la question de savoir si le maréchal Ney est innocent ou coupable.
Ah ! Sire, si ceux qui dirigent vos conseils ne voulaient que le bien de Votre Majesté, ils lui diraient que jamais l'échafaud ne fit d'amis ; croient-ils donc que la mort soit si redoutable pour ceux qui la bravèrent si souvent ? Ce fut au passage de la Bérézina, Sire, c'est dans cette malheureuse catastrophe que Ney sauva les débris de l'armée. J'y avais des parents, des amis, des soldats, enfin, qui sont les amis de leurs chefs, et j'enverrais à la mort celui à qui tant de Français doivent la vie, tant de familles leurs fils, leurs époux et leurs parents ! Non, Sire, s'il ne m'est pas permis de sauver mon pays ni ma propre existence, je sauverai du moins l'honneur; et s'il me reste un regret, c'est d'avoir trop vécu, puisque je survis à la gloire de ma patrie.
Quel est, je ne dis pas le maréchal, mais l'homme d'honneur qui ne sera pas forcé de regretter de n'avoir pas trouvé la mort aux champs de Waterloo ? Ah ! peut-être, si le malheureux Ney avait fait là ce qu'il a fait tant de fois ailleurs, peut-être ne serait-il pas traîné devant une commission militaire ; peut-être que ceux qui demandent aujourd'hui sa mort imploreraient sa protection.
Excusez, Sire, la franchise d'un vieux soldat qui, toujours éloigné des intrigues, n'a connu que son métier et la patrie. Il a cru que la même voix qui avait blâmé les guerres d'Espagne et de Russie, pouvait aussi parler le langage de la vérité au meilleur des rois, au père de ses sujets. Je ne dissimule pas qu'auprès de tout autre monarque ma démarche aurait été dangereuse ; je ne dissimule pas non plus qu'elle peut m'attirer la haine des courtisans : mais si, en descendant dans la tombe, je puis avec un de vos aïeux m'écrier : tout est perdu hormis l'honneur
, alors je mourrai content.